lundi 5 février 2001

Le Sacre d'un cheval

Créé en 1984, le Théâtre équestre Zingaro porte le nom d’un magnifique cheval, un frison noir, partenaire de Bartabas. Leur premier spectacle, intitulé Cabaret équestre, joué de 1984 à 1990, réunit sur la piste non seulement des chevaux et des hommes, mais aussi un chameau, des oies et des oiseaux de proie. Avec Opéra équestre (1991), Bartabas conjugue des numéros de voltige sur des chants berbères et géorgiens. Chimère (1994) se consacre à l’univers indou du Rajasthan. Dans des parures, turbans et drapés aux couleurs chaudes, chevaux et cavaliers se mêlent sur la piste, au gré des notes des chanteurs et musiciens indiens qui les accompagnent. Le spectacle Éclipse, créé en 1997 avec des danseurs, s’oriente vers l’Asie et joue sur les contrastes entre noir et blanc, ombre et lumière, le tout au son de musiciens et chanteurs traditionnels de Corée. L’illustre cheval Zingaro meurt durant la tournée internationale de ce spectacle.  

Triptyk en 2000 est un hommage à cette disparition, cette absence. Le Sacre du printemps et La Symphonie des Psaumes d’Igor Stravinsky, puis le Dialogue de l’ombre double de Pierre Boulez illustrent le récit d’un sacrifice, d’une perte. Outre les partitions musicales, le spectre du cheval fétiche s’inscrit à travers la scénographie : des sculptures blanches évoquent des squelettes chevalins. Ni accessoire, ni instrument, le cheval est sujet, muse, héros et cœur du spectacle. Même disparu, il demeure, plus qu’un partenaire, un alter ego.

Pour cette nouvelle création, Bartabas confronte ses chevaux à une partition métronomique : l’œuvre musicale est écrite et enregistrée. Cette fois, les musiciens ne sont plus sur scène pour se caler en fonction des retards ou avances de l’animal. Ils ne « suivent » plus les mouvements du cheval. Néanmoins, un troublant tableau présente justement quatre chevaux albinos librement lâchés dans l’arène : sans selle, ni encolure, ils improvisent paisiblement, folâtrent et se roulent dans la terre rougeâtre. La séquence semble alors étrangement chorégraphiée alors qu'elle est pourtant (paradoxalement) vouée à l'improvisation.

Réactions à chaud à la sortie du spectacle…
Entrevues de spectateurs

Tous viennent pour la première fois au Théâtre équestre d’Aubervilliers. Certains ont lu des articles dans Télérama, d'autres ont vu des extraits et interviews à la télévision.
Qu’est-ce qui fut inattendu pour vous ?
G : J’ai été surprise… mais je n’ai rien compris à l’histoire (si il y en avait une). L’inattendu a plutôt été du côté des rituels [Dans Triptyk, Bartabas met en scène des danseurs de kalaripayatt, un art martial du Kerala, un état du sud-ouest de l’Inde. Jadis pratiqué par les soldats des princes du Kerala, cette discipline physique et spirituelle demande dix années de travail et n’est pas destiné au spectacle, elle recouvre un état d’esprit].
J : Ce spectacle allait au-delà de l’idée vague que je m’en faisais. Il ne s’agissait pas de montrer des chevaux bien dressés, des cavaliers émérites et acrobates mais de les intégrer dans un propos où l’homme et le cheval se répondaient l’un l’autre, à égalité.
L : je ne m’attendais pas à voir un tableau sans cheval.

Que retiendrez-vous de ce spectacle ?
J : Le récit chorégraphique d'une histoire d'amour entre l'homme et le cheval. Leur communion par la danse et la musique. Le Sacre du printemps ressenti comme un rituel païen et primitif où danseurs et chevaux se cherchent, s’affrontent avec sauvagerie avant de trouver leur harmonie et leur épanouissement dans l'acte de vie. Ballet vivant et spectaculaire. Le Dialogue de l’ombre, où l’homme semble pleurer son ami cheval, représenté par des carcasses blanches, seul véritable décor du spectacle. Plastiquement beau mais un peu long. En plus, la musique de Boulez, faut aimer et… je n'y suis pas sensible. La Symphonie des Psaumesle rapport homme-cheval semble prendre une dimension métaphysique voire mystique. Pour Bartabas, le cheval serait-il devenu l’avenir de l’homme ? Ou par lui, le salut ? Faute de tout comprendre, on peut s'interroger… En tout cas, certainement la pièce (et la musique) la plus émouvante du spectacle.

Crédit photo : Antoine Poupel
Quelle(s) scène(s) vous a marqués ?
L : Les pyramides humaines qui se transforment sans cesse sur le dos des chevaux qui, eux, continuent de tourner, puissants et solides.
G : La scène où les femmes mettent une carotte dans leur bouche avant de la mettre dans les gueules de leurs chevaux tout blanc…
J : Tout d’abord, le ballet des chevaux blancs, notamment le moment où, spontanément, ils s'allongent sur le sol pour être enlacés par les danseurs. Et l'apparition à la fin du spectacle de Bartabas, vêtu d'une robe noire, seul, sur son cheval esquissant sur place, des pas de danse dans un silence quasi religieux avec pour seul accompagnement, le bruit des sabots. Magique.
Crédit Photo : Antoine Poupel
Connaissiez-vous Le Sacre du printemps de Stravinsky auparavant ? En aviez-vous déjà vu une version en spectacle ? Si oui, laquelle et que vous en reste-t-il ?

J : Pour moi, Le Sacre, c'était la version Deutsche Grammophon de 1977 dirigée par Karajan. Très intériorisée et pourtant d'une grande force dynamique, bref exceptionnelle ! Celle de Pierre Boulez me semble plus analytique, d'une plus grande rigueur, moins romantique aussi; néanmoins, classe !

E : Je me souviens de la version du Sacre de Nijinski à l’Opéra de Paris. Le rôle de l’élue était interprétée par Marie-Claude Pietragalla. À la fin, elle exécute une série de sauts extrêmement épuisante, c’est la scène du sacrifice. J’ai vu également des extraits vidéos de la version de Maurice Béjart. Ça m’a paru un peu ringard, un peu dépassé. Pourtant il paraît qu’à l’époque, il produisit une sacrée révolution ! C’était 1968 je crois, une grande époque ! En fait, contrairement à la version de Nijinski, c’est un élu qui est désigné à la fin. Et la scène du sacrifice devient un mariage chez Béjart. Je me souviens aussi du Sacre de Pina Bausch : alors là, ce fut un choc émotionnel très fort. J’ai lu depuis la biographie d’une des interprètes : cette pièce est devenue en quelque sorte l’initiation, le passage obligé, à passer pour chaque nouvel interprète. Je me souviens que l’élue répète jusqu’à l’épuisement une espèce de mouvement de bras qui s’enfonce dans le ventre, comme si la danseuse se donnait des coups de couteau dans les entrailles. Là aussi c’est la scène du sacrifice. C’est assez violent, la danseuse transpire et suinte, sa robe semble tomber en lambeaux. 

Extrait du spectacle Tryptik
 du Théâtre équestre Zingaro de Bartabas
Sur la musique du Sacre du printemps de Stravinsky,
orchestre dirigé par Pierre Boulez :


Toutes vos remarques personnelles sont les bienvenues.
J : Enfin, je vais répondre à la question que vous ne m'avez pas posée : « Que pensez-vous de Bartabas ? » Dorénavant, je le considère comme le Béjart du théâtre équestre ! 

Triptyk
 Jusqu’au 25 février 2001 au Théâtre équestre Zingaro
Le spectacle tournera à Moscou, Barcelone, Montréal, Toronto et New York
Puis reprise du 16 novembre 2001 au 31 décembre 2001 à Aubervilliers
176, avenue Jean Jaurès 93300 Aubervilliers
M° Fort d’Aubervilliers - Accès voiture : Porte de la Villette
Restauration possible sur place à partir de 19h
 Durée du spectacle : 1h45 sans entracte

Site :
http://www.bartabas.fr/Zingaro

Photos : Antoine Poupel

Bibliographie :
La ballade de Zingaro, Françoise Gründ, éditeur Chêne, 2000, 184 p., photos couleur.
Zingaro le cheval, Homeric, Tana Editions, 28 p., photos couleur.
Triptyk, livre programme du spectacle, textes de Françoise Gründ et André Velter, photographies d’Antoine Poupel, édité par Zingaro, mars 2000, en vente sur place ou par correspondance.
Zingaro, la saga des centaures, Anne-Marie Paquotte, hors série Télérama, 81 p.
Zingaro, suite équestre, André Velter, dessins d’Ernest Pignon-Ernest, Paris : Gallimard, 1998, coll. Folio n°3385, 142 p., illustrations en noir et blanc.

Films : Les vidéos des spectacles sont en vente sur place ou par internet.

À voir :
L’exposition Nijinsky (1889-1950) : le Musée d’Orsay célèbre le cinquantième anniversaire de la disparition de Nijinsky, jusqu’au 18 février 2001.

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