lundi 4 février 2002

80 personnages en quête d'un masque...

Coiffé d'un point d'interrogation hérissé sur le crâne, Arturo Brachetti semble poser constamment la question de son identité. À la fois, magicien, conteur, marionnettiste, comédien, danseur, mime, clown, poète, humoriste et transformiste, son one man show consiste à changer de costume à une vitesse époustouflante, se métamorphosant en cent personnages sous les yeux médusés des spectateurs ahuris. Imprévisible et d'une rapidité incroyable, on ne sait jamais en quoi il réapparaîtra cinq secondes plus tard. Homme caméléon, il conjugue les traditions théâtrales de son Italie natale (Comedia dell'arte, Fregoli, Fellini, la "Mama"...) avec le show à l'américaine (effets spéciaux, grand écran, sons HDX, fumigènes et jeux de lumières sophistiqués).

L'homme qui s'habillait plus vite que son ombre…
 

Après avoir été révélé par le Festival Juste Pour Rire de Montréal en 1997, Arturo Brachetti débarque en janvier 2000 à Paris au Théâtre Marigny pour 60 représentations... et le 8 mai, il est couronné à l'Opéra Comique par le prix Molière du meilleur one man show de l'année. Avec cette consécration, Brachetti s'apprête à une tournée mondiale de Londres jusqu'à Broadway. Son spectacle L'Homme aux mille visages mélange ainsi magie et transformisme (l'artiste interprétait déjà 33 rôles dans Les Maxiboules de Marcel Aimé) : « Serge Dennoncourt [le metteur en scène] a pris des vieux numéros que je faisais dans plusieurs de mes spectacles et nous les avons mis ensemble. C'est un genre de compilation » (propos recueillis par Patricia Marchand pour Club Culture). Ce spectacle, considéré comme un "best of", reprend donc les meilleurs numéros de la carrière d'Arturo, soient quelques 100 transformations en 100 minutes « avec une idée de base qui était celle de raconter l'histoire de ce garçon, qui est mon histoire, même si c'est un peu romancé ». (Entretien avec Arturo Brachetti, propos recueillis par Stéphanie Jeanroy, Le Télégramme, 26/03/2001).

To be or not to be...
 

Le spectacle débute sur une série de grandes phrases telles que : « Un pour tous, tous pour un ; to be or not to be ; une personne et cent mille ; je suis un mensonge qui dit toujours la vérité... » L'ambiance est donnée : d'emblée, nous entrons dans un monde onirique où tout n'est qu'illusion, masque et prestidigitation

Conçu par Guillaume Lord, l'univers enchanté d'Arturo Brachetti surgit d'une imposante structure en bois en forme de cube, qui coulisse et tourne sur elle-même. Cette énorme boîte possède plusieurs casiers, des volets, une porte et des pans de tissus. Tout comme le transformiste, le décor dévoile ainsi, à chaque rotation, un nouveau visage. En un virage, il se transforme en écran géant, en décor de cinéma ou en scène de théâtre. Cet élément de décor constitue ainsi le lien entre Arturo et ses métamorphoses. Dans une nuée de fumigènes, une silhouette apparaît à contre jour dans l'encadrement d'une porte et retire, un par un, une série de masques. Le spectacle a commencé…

En un tour de passe-passe, le temps de se glisser derrière un rideau, et voici Arturo vêtu en cavalier de la garde montée. Le soldat déroule devant lui une affiche : "Wanted", et quand il la replie, il s'est transformé en grosse abeille. Un passage derrière un paravent lui suffit pour éclore habillée en fleur à pétales roses, puis telle une chrysalide, une danseuse émerge de ce costume coiffée d'un casque sur la tête à la mode Joséphine Baker. Débutant en Italie avec six costumes, il en détient aujourd'hui plus de 350.


La Mama et le Padre
 

Plus qu'un illusionniste, Brachetti se révèle un charmant orateur et, entre chaque numéro, l'artiste nous livre, avec son irrésistible accent italien, quelques épisodes de sa croustillante biographie : depuis les imitations de sa "mama" s'inquiétant pour son avenir et affolée devant un goût si prononcé pour le travestissement (« Qu'est-ce que tu fais avec mes chapeaux, Arturo ?! Sors de mon placard ! »), jusqu'au "padre", le Père Silvio Mantelli, qui lui a appris ses premiers tours de magie au séminaire et l'a introduit au club des magiciens de Turin.

Un des premiers numéros du spectacle est ainsi dédié au début de sa carrière : au temps où, caché dans le placard à chapeaux de sa maman, le petit Arturino s'amusait déjà à interpréter de multiples personnages. Depuis, il est capable d'incarner à l'aide d'un simple chapeau vingt-sept personnages avec une rapidité déconcertante : cardinal, mousquetaire, cow-boy, fermier, torero, Don Camillo, Napoléon, le diplômé, le bonnet d'âne, le tricorne de Casanova, le turban de l'actrice du Sunset Boulevard à Hollywood... La vie de l'artiste devient ainsi le fil conducteur à ce spectacle. Avec beaucoup de sensibilité, d'humour et de nostalgie, Arturo Brachetti nous raconte son histoire et particulièrement son enfance. Il se sert pour cela de séquences filmées projetées sur scène dans lesquelles il interprète aussi bien sa "mama" que son père spirituel : le curé du village qui l'a initié à la magie. Arturo doit son talent à d'autres personnes : comme sa petite amie qui lui a appris à se déshabiller très très vite, ainsi que son père qui, lui, lui a appris à se rhabiller dare dare, illico presto... « C'est ça la passion des Italiens !... » (sic)

Son maître s'appelle Leopoldo Fregoli. À la fois prestidigitateur, illusionniste, clown, poète et comédien, Fregoli demeure un célèbre transformiste italien du début du siècle (1867-1936). Arturo Brachetti a d'ailleurs interprété son rôle en 1994-95 dans une comédie musicale de Ugo Chiti et Bruno Moretti intitulée "Fregoli" et dirigée par Saverio Marconi (prix du spectacle le plus vendu en Italie pour les saisons 1994-95 avec 280 000 tickets). Leopoldo Fregoli réalisait alors quelques 80 transformations en une soirée : « Fregoli avait six assistants. J'en ai un et c'est tout. Il n'y a pas un producteur au monde qui paierait pour six assistants. Il y a les assistants de scène, pour les décors, la technique. Avec mon assistant, c'est comme si j'avais quatre mains. On se comprend » (propos recueillis par Patricia Marchand pour Club Culture). Dans le spectacle, un numéro est ainsi dédié à ce grand maître du transformisme : à sa manière, c'est-à-dire celle de la Belle Époque, l'époque du music-hall, de l'exotisme à la poésie du Pierrot...

D'Hollywood à Cinecitta…
 
Outre la vie privée de l'artiste, l'évocation du cinéma est un des fils conducteurs du spectacle : ces images dans lesquelles le petit Arturino a baigné, ces icônes hollywoodiennes qui l'ont fait rêver permettent au public d'entrer dans le monde onirique de l'artiste, de cerner sa sensibilité à travers ses références. Ses souvenirs de "cinéma maison" renvoient ainsi à l'univers enfantin du magicien : son petit mouchoir devient alors un écran géant sur lequel sont projetés des ombres chinoises. Ses mains habiles et la souplesse de ses phalanges lui permettent d'évoquer de multiples animaux : chien, chat, brebis, vache, âne, crocodile, éléphant, requin, lapins en passant par la mort d'un cygne... « Le cinéma, c'était le grand voyage (...à 50 km de mon village !) : sous la mer, dans l'espace, comme tous les petits Italiens, j'ai grandi avec le cinéma de Charlie Chaplin à la guerre des étoiles. Je rêvais d'Hollywood. Je dévorais le cinéma ». Et là, en un coup de baguette magique, Arturo avale le gigantesque morceau de tissu qui servait au préalable d'écran.

Le spectacle Brachetti in technicolor, écrit par Marconi-Brachetti et mis en scène par Saverio Marconi, portait déjà sur le thème des productions cinématographiques d'Hollywood : l'action se situait en 2095 et consistait à mélanger, suite à un bug informatique, tous les classiques du 20e siècle sauvegardés sur des disquettes afin de confondre les époques et assembler des binômes inédits tels que Néron et Scarlett O'Hara ou encore James Bond et Cléopâtre... Brachetti y réalisait ainsi 40 personnages et 60 transformations rapides de costume.

En hommage à Hollywood, il incarne de nouveau un panel de comédiens aussi varié que Charlie Chaplin (Le Dictateur), Gene Kelly (Chantons sous la pluie) et Liza Minelli (Cabaret), ainsi que plusieurs icônes du cinéma tels que les péplums de Cecil B. De Mille (Les Dix commandements), ou encore James Bond (Goldfinger), tout en passant par l'histoire du cinéma américain avec des séquences de Autant en Emporte le vent, Psychose, Les Dents de la mer et King Kong. Grâce à un costume scindé en deux, il s'amuse également à interpréter en play back la scène d'anthologie entre Bogart et Bergman dans Casablanca. Moitié homme, moitié femme, d'un côté, il porte un costume masculin alors que son autre profil est revêtu d'un tailleur féminin. De nombreuses séquences abordent ainsi un thème privilégié chez le transformiste : à savoir, l'ambivalence sexuelle ou celle qui lie le créateur à sa créature, l'acteur au personnage qu'il incarne, comme dans le numéro consacré à Frankenstein ou encore celui de Star Wars via l'ambiguïté de Dark Vador (le gentil passé du "côté obscur de la Force", l'affrontement du fils contre son père). D'ailleurs, la cape de Dark Vador révèle une danseuse de natation synchronisée qui, en un tour à la David Coperfield, réalise un véritable ballet aquatique dans les airs : elle s'élève d'abord à la verticale, puis plonge et "nage" à l'horizontale avant de réaliser un tour entier dans l'espace comme en apesanteur.

Don d'ubiquité
 

Dans le numéro intitulé "The Far West", le transformiste interprète six rôles avec une très grande interaction entre les personnages : il incarne ainsi successivement un pianiste barbu, le barman, un bandit, une cow-girl, le shérif et le croque-mort. Sur un air de country, le roi de la métamorphose change de costume en l'espace d'une seconde dans ce décor de saloon peint en noir et blanc. Quittant la scène par une porte, il réapparaît aussitôt, tel un vaudeville, par une autre. La scène de fusillade entre le bandit habillé en noir et le shérif vêtu de blanc est particulièrement bien réglée, c'est à se demander si Arturo n'a pas un frère jumeau !

Mais qui est donc Arturo ? Brachetti répond à cette question en rendant un ultime et émouvant hommage à un monstre sacré du cinéma : « Federico Fellini portait en lui, dans sa boîte, des milliers de personnages et grâce à eux, il a dit qui il était ». Accompagnée par la magnifique musique de Nino Rota, le dernier tableau consacré à Fellini est sans aucun doute le morceau le plus émouvant et poétique du spectacle. Un plateau de tournage célébre le fabuleux travail du réalisateur italien dans un décor qui évoque Cinecitta. Assis de dos sur une chaise de metteur en scène, imprimée au nom du maestro, Arturo incarne successivement Julietta Massina via le personnage du clown de La Strada en chapeau melon et pull rayé ainsi que les femmes fantasmagoriques et voluptueuses de Huit et demi, La dolce vita... Ce tableau se termine par le passage sur scène du bateau de Et vogue le navire !

Pour Arturo Brachetti, « au fond, c'est tout simple, on est seulement un enfant caché dans son placard qui joue au théâtre et qui fait son cinéma. Et sans cet enfant nous ne sommes rien du tout ».

Arturo Brachetti : L'homme aux mille visages
À l'affiche jusqu'au 3 mars 2002 au Casino de Paris
16, rue de Clichy - 75009 Paris - Métro : Trinité.
Durée : 2 heures.
Mise en scène : Serge Denoncourt - Direction artistique : Pierre Bernahard
Décor : Guillaume Lord - Créateur lumière : Alain Lortie et Bruno Rafie
Maître costumier : Massimo Sarzi Amadè - Texte : Pierre Yves Les Mieux
Assistant à la mise en scène : Geneviève Lagacé - Accessoires : Normand Blais

Site officiel : www.brachetti.com

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