samedi 10 février 2001

Printemps sacrés

Le Sacre du printemps est un ballet chorégraphié en 1913 par Vaslaw Nijinski sur une musique composée par Igor Stravinsky. L’argument imaginé par le compositeur est le suivant : pour célébrer l’arrivée du printemps, un groupe de jeunes filles vierges exécute des danses sacrées. La cérémonie consiste à désigner l’une d’elle en vue de la sacrifier et bénir ainsi la terre nourricière. « L’Élue » débute alors une danse frénétique jusqu’à mourir d’épuisement. Bien qu’on ne compte désormais plus les reprises de ce spectacle par d’innombrables chorégraphes, l’œuvre la plus célèbre de Nijinski rencontre pourtant à sa création l’hostilité du public et provoque un charivari tel dans la salle du Théâtre des Champs-Élysées que le ballet disparaît de l’affiche après seulement huit représentations.



À l’époque, le ballet fait scandale. D’une part, la partition de Stravinsky opère un bouleversement esthétique radical. Pour donner un caractère primitif à son morceau, le compositeur assemble des éléments musicaux hétéroclites, ce qui produit, sur le public de 1913, un effet acoustique inhabituel : superposition d’harmonies, mélodies contrastées, timbres bruts, rythmique irrégulière… D’autre part, la violence des pas de danse réalisés offusque une grande partie de la salle. Nijinski impose aux danseurs une chorégraphie qui rompt avec l’harmonie convenue de la danse classique : les mains sont crochues, les corps tordus, les membres dissociés, les articulations anguleuses, « Les positions, traditionnellement en dehors, se tournent vers l’en dedans, les sauts s’aplatissent pour renforcer l’atmosphère pesante et la difficulté à s’arracher à sa condition (…) Les mouvements d’ensemble jouent sur des asymétries » (Marie-Claude Pietragalla, La Légende de la danse, Paris : Flammarion, 1999, chapitre « Nijinski ou l’avant-garde maudite », p. 130). 

La version du Sacre du Printemps de Nijinski (1913)
reconstituée par Millicent Hodson en 1987 avec le Joffrey Ballet

Solo de l'Élue interprété par Marie-Claude Pietragalla :

« Il est vrai que l’essence même de la danse sert d’argument à la pièce, à savoir son origine rituelle et parfois sacrificielle : cela peut expliquer l’attirance naturelle des chorégraphes pour cette œuvre-clé, au-delà de la rupture entre classicisme et modernité qui la caractérise » (Fabienne Arvers, programme du vidéodanse du Centre Georges Pompidou, janvier-février 2001, p. 23).

 

La multitude des relectures et autres ré-appropriations du Sacre du printemps par tant de chorégraphes atteste l’importance de cette œuvre magistrale. Presque 50 ans après Nijinski, Maurice Béjart propose, en 1959, sa propre version. Elle se caractérise par l’insertion d’un Élu masculin. Sa chorégraphie souligne ainsi un affrontement des sexes : les hommes agressifs et puissants s’opposent aux femmes craintives, « cette dualité à la fois antagoniste et complémentaire trouvant l’équilibre idéal dans l’union du couple » (Dictionnaire de la danse, Larousse, 1999, p. 632).

Le Sacre du printemps, revu et corrigé par Maurice Béjart en 1959
Duo final qui célèbre "l'union du couple" :


En 1975, dans la version de Pina Bausch, le sol est recouvert de tourbe. Les hommes sont torses nus et en pantalons noirs, les femmes en combinaisons blanches, la danse est convulsive, les mouvements se répètent de manière obsessionnelle. « De mains en mains circule nerveusement une étoffe rouge sang dont l’ultime détentrice sera l’Élue. (…) Les corps en sueur sont de plus en plus maculé [de terre], comme si s’inscrivaient sur chacun les stigmates du supplice qui attend l’Élue dont tout le groupe se fait complice » (Dictionnaire de la danse, op. cit., p. 633).

Le Sacre du printemps, version Pina Bausch (1975)
Solo final de l'Élue interprété par Malou Airaudo :

 
À voir : 
Les Printemps du Sacre : documentaire réalisé par Jacques Malaterre, avec des extraits des chorégraphies de Vaslaw Nijinski, Léonide Massine, Mary Wigman, Martha Graham, Mats Ek, Maurice Béjart et Pina Bausch (La Sept, 1993).

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