lundi 10 mars 2003

Un couple au septième ciel

En l’air, un ange. Sur le sol, un être démoniaque, mi-femme, mi-animal. Le premier, un homme aux boucles blondes et frisées (Marc Pareti), vogue sur un trapèze, deux ailes de plumes blanches se déployant dans son dos. La seconde, une femme à la tignasse brune et rebelle (Marlène Rubinelli Giordano), déambule à quatre pattes, un boa noir enroulé autour du buste en guise de fourrure animale. Tous deux s’observent, s’amusant du mouvement de l’autre. Puis la femme bondit, saisit les mains de l’ange renversé et se hisse sur la balançoire. Bercés et enivrés par le mouvement de balancier, le couple tangue ensemble, imbriqué, explorant de multiples positions afin d’établir des points d’équilibre insolites.

La Syncope du 7
Collectif AOC - Cirque contemporain

Le public en émoi retient alors son souffle pour un moment d’extase : "La syncope est un étourdissement, une perte de repères". L’homme vacille et son corps se renverse sur le plan horizontal. Debout sur lui, sa compagne bascule sans se tenir à la corde, donnant ainsi l’impression de surfer dans les airs. Le trapéziste flotte ensuite dans le vide, avec pour toute accroche, le contact d’un pied coincé entre les cuisses de sa partenaire. Silencieux, les autres membres du groupe AOC les contemplent, suspendus à un échafaudage composé d’armatures métalliques ressemblant à la fois à un terrain de jeu pour enfants et à une cage pour chimpanzés délurés.


Les sept fantastiques…

Digne des héros mythiques des X-Men, une énergie quasi-surnaturelle se déploie du collectif AOC, oscillant entre le bien et le mal, entre le blanc et le noir, entre l'aérien et le terrien, entre la grâce et le muscle, mi-anges, mi-démons. Polyvalents, tous les membres manient avec dextérité acrobaties, sauts, trampoline, trapèze et jonglerie. Chacun s’individualise donc au sein du groupe, non pas par sa spécialité circassienne, mais par sa théâtralité. Un énergumène en jeans (Sylvain Decure) sème le trouble : plein de peps, il se trémousse et danse façon disco entre chaque acrobatie. Particulièrement agile et volatile, il réalise d’incroyables séries de tours en l’air, que ce soit sur le trampoline, en porté avec un partenaire (Cyrille Musy) ou encore en équilibre sur les mains de deux coéquipiers. Pour accompagner ce spectacle, la musique jouée en direct par un septième larron (Olivier Teneur) entre en communion avec les artistes: "La Syncope du 7 est un hymne au groupe".

…ou le côté obscur de la Force

Deux garçons (Mathieu Prawerman et Gaétan Lévêque), l’un vêtu de blanc, l’autre de cuir noir, s’affrontent sur le trampoline. Face à face, ils sautent tous deux sur un même rythme, les grincements de la toile élastique tenant lieu de métronome ou de compte à rebours. Chacun à son tour défie l’autre par un saut, revenant ensuite retrouver le rythme du rebond. L’un et l’autre s’équilibrant mutuellement, comme deux forces qui se complètent. Amplifiées par des capteurs sonores, le bruit de leurs envolées évoque les bruitages accompagnant les scènes de combat mythiques du cinéma d’action. De plus, la technique du trampoline permet de donner aux sauts divers effets comme la perte du poids, l’immobilité dans les airs, l’amplitude de la hauteur ou le mouvement ralenti. Cette gestuelle évoque alors des séquences de jeux vidéos ou les combats de Matrix. 

Un pour tous et sept pour un...

La cohésion du groupe permet des ensembles parfaits. En synchronie ou en contact, à plusieurs, seul ou deux par deux, au sol comme sur le trampoline, leurs échanges véloces impressionnent pour leur précision millimétrée et leur vitesse extrême. Sur le praticable, les six équipiers se croisent, s’intercalent et se suivent via des sauts psychédéliques et excentriques. Contrairement aux prouesses convenues dans le cirque traditionnel, le collectif troque les légendaires sauts carpés et autres formes codifiées pour déconstruire et inventer des positions hétéroclites et inédites : les jambes fléchies, les bustes penchés, les doigts crochus. Ces arrêts en plein vol rappellent une imagerie issue des films de combats ou de dessins animés mangas plutôt que les hyper-extensions gymniques ordinairement exécutées dans les numéros de cirque. Les références ainsi contemporaines vont de Star Wars aux Yamakasis en passant par Tigres et Dragons. La confusion des plans explorée via le trampoline et le trapèze est soulignée tout au long du spectacle à travers la chorégraphie de Fatou Traoré au sol ou en contact. 

Sept personnages en quête d’une massue

À la manière d’un bouquet final, un numéro de jonglerie combine l’acrobatie, la danse, les sauts et le trampoline pour une partie époustouflante de passe-passe et de voltige. Dans ce relais géant, chacun intercepte des massues en plein vol et les redistribue. En plus de veiller à ses instruments, chaque jongleur se concentre sur l’ensemble de ses partenaires. Les massues fusent et les acrobaties s'enchaînent en plein champ de tir. Les passeurs étant eux-mêmes mouvants, l’adrénaline des sauts périlleux est constamment augmentée par le risque d’interrompre le trajet d’un projectile : "les corps des acrobates sont comme jonglés par un manipulateur invisible" (Jean-Michel Guy). Entre deux lancers, le jongleur-cascadeur intercale un saut de trampoline qui lui permet de gravir la structure et arriver au sommet au moment de la réception d’une nouvelle salve. Tous courent – notamment sur l’axe vertical de la structure –, bondissent, tournoient, se suspendent aux barres comme à des lianes ou s’élancent d’un tremplin afin d’atterrir sur un énorme matelas déplacé par deux partenaires à l’écoute ; pour récupérer une massue et la remettre en jeu illico presto. Dans cette course effrénée, les partenaires se croisent et se rencontrent, s’assemblant parfois le temps d’un porté, d’un numéro d’équilibriste ou encore l’espace de deux bises suspendues en apesanteur, avant de chavirer et repartir.

Spectacle présenté à l’Espace Chapiteaux de la Villette du 4 mars au 12 avril 2003.
Les passages cités entre guillemets sont tirés du dossier de presse.
© Photographies: Toinetje

La Syncope du 7
Chorégraphie et mise en scène : Collectif AOC et Fatou Traoré
Distribution : Marlène Rubinelli-Giordano, Mathieu Prawerman, Gaétan Levêque, Marc Pareti, Sylvain Decure, Cyrille Musy, Olivier Teneur
Construction de la structure : Collectif AOC et Olivier Durand
Intervenants de technique de cirque : Jambenoix Mollet et Gérard Fasoli
Musique : Olivier Teneur et Bertrand Landhauser
Régie plateau : Chloé Duvauchel et Thierry Suty Régie
Lumière : Pierre Staigre et Goulven Dupeyrat
Chargée de production/diffusion : Peggy Donck
COPRODUCTION : Collectif AOC, Furies-Festival de cirque et de théâtre de rue de Châlons-en-Champagne,Circuits - Scène conventionnée d'Auch, Equinoxe - Scène nationale de Chateauroux, Parc de la Villette, Les arts à la rencontre du cirque - ville de Nexon, 1x2x3 ASBL Bruxelles
Subventionné par le Ministère de la Culture - DMDTS, la Ville de Reims, le Conseil régional de Champagne-Ardenne et la DRAC Champagne-Ardenne, le Collectif AOC (issu des dixième et onzième promotions du CNAC) est en résidence au Manège de Reims - scène nationale et accompagné par Furies, festival de cirque et de théâtre de rue de Châlons-en-Champagne

Photos et extraits vidéos sur le site du CNAC