Dans la droite lignée
d’Alain Platel, Abdelaziz Sarrokh manie l’esthétique du désordre et un goût
particulier pour la diversité (tant au niveau de la personnalité de ses
danseurs que de leur formation). Ses créations sont ainsi de véritables mises
en scène du capharnaüm interprétées par des danseurs qui, issus de parcours
multiples, forment une troupe hétéroclite d’individus de cultures et de
techniques corporelles très diverses. Sa dernière pièce, Bobo in Paradise,
n’échappe pas à la sacro-sainte règle de la désormais fibre flamande "made in
Ballet C. de la B".
L’Être et le désordre
Comme pour ses précédentes créations, le jeune chorégraphe
belge cultive l’art du cocktail chorégraphique, brassant les codes, les
influences, les musiques et les personnalités dans un savant mélange
d’esthétiques. Polyvalents, les danseurs passent d’un vocabulaire académique
classique et gymnique à une gestuelle contemporaine et hip hop déjantée. Le
collage musical marie airs traditionnels avec musique hip hop actuelle, mais
aussi funk des années 1970 ou encore bruitages et musique classique. Sexe,
drogue, alcool et désespoir surgissent de ce tableau chaotique de "Bobos"
(bourgeois bohèmes) en quête de paradis et de sensations fortes. La
scénographie elle-même corrobore cette idée de déchéance en présentant une
ligne de cuvettes de WC qui servent de sièges aux danseurs.
Avant d’apparaître sur scène, un effet d’ombres chinoises plante les différentes individualités de la bande. Réunis sur le plateau, les interprètes se bousculent et s’alpaguent, se vautrent et se défient. Affichant un look hybride composé de vêtements typiquement hip hop – les baskets, les bonnets, les casquettes – et d’habits récupérés de la mode des années 70 – une jupe rouge, une chemise à col pointu, une cravate kitch –, ils tentent de s’affirmer les uns par rapport aux autres dans un mixage de références. Les contacts entre partenaires sont de l’ordre du combat et de la rivalité. Dans les défis, les concurrents retirent leurs vêtements pour mieux lutter. Via des mouvements brefs et secs, les attaques jaillissent et rebondissent dans des acrobaties : une fille brutalise un garçon comme pour une séance de domptage alors qu’un autre violente sa poupée gonflable.
La mise en scène kaléidoscopique d’Abdelaziz Sarrokh démultiplie l’image du groupe sur trois niveaux : tout d’abord sur le plateau, mais aussi sur la structure qui surplombe la scène, et enfin à travers un film tourné en direct et projeté sur l’écran en fond de scène. Dans les chorégraphies d’ensemble, chacun intègre des gestes parasites qui agissent comme de multiples signes de dissidences et un refus catégorique de se fondre dans le moule. Au sein même du mouvement de masse, on s’interpelle, on s’injurie, on s’accroche, on se désigne du doigt. Chacun quitte l’unisson pour des apartés en solo puis regagne le troupeau : comme Candas Bas en position du lotus, les yeux fermés, qui prend un insolite temps de relaxation en plein cœur de la transe collective.
L’envers de la pirouette
Avant d’apparaître sur scène, un effet d’ombres chinoises plante les différentes individualités de la bande. Réunis sur le plateau, les interprètes se bousculent et s’alpaguent, se vautrent et se défient. Affichant un look hybride composé de vêtements typiquement hip hop – les baskets, les bonnets, les casquettes – et d’habits récupérés de la mode des années 70 – une jupe rouge, une chemise à col pointu, une cravate kitch –, ils tentent de s’affirmer les uns par rapport aux autres dans un mixage de références. Les contacts entre partenaires sont de l’ordre du combat et de la rivalité. Dans les défis, les concurrents retirent leurs vêtements pour mieux lutter. Via des mouvements brefs et secs, les attaques jaillissent et rebondissent dans des acrobaties : une fille brutalise un garçon comme pour une séance de domptage alors qu’un autre violente sa poupée gonflable.
La mise en scène kaléidoscopique d’Abdelaziz Sarrokh démultiplie l’image du groupe sur trois niveaux : tout d’abord sur le plateau, mais aussi sur la structure qui surplombe la scène, et enfin à travers un film tourné en direct et projeté sur l’écran en fond de scène. Dans les chorégraphies d’ensemble, chacun intègre des gestes parasites qui agissent comme de multiples signes de dissidences et un refus catégorique de se fondre dans le moule. Au sein même du mouvement de masse, on s’interpelle, on s’injurie, on s’accroche, on se désigne du doigt. Chacun quitte l’unisson pour des apartés en solo puis regagne le troupeau : comme Candas Bas en position du lotus, les yeux fermés, qui prend un insolite temps de relaxation en plein cœur de la transe collective.
L’envers de la pirouette
Une teinte de désespoir colore
chaque protagoniste : Lima De Valck chante "Happy birthday to me",
Jennie Gerdes sniffe des rails de coke et sombre, à la Trainspotting, la
tête la première dans une cuvette de WC, Boiana Anguelova tombe violemment en
grand écart après une gracieuse souplesse arrière. La chorégraphie joue sur le
risque, la chute et la désarticulation comme pour mieux cerner ces personnages
en mal d’identification. Tels les Bobos qui arborent deux étiquettes a priori
contradictoires (un côté bourgeois, un côté bohème), Abdelaziz Sarrokh jongle
avec des conventions chorégraphiques jugées antinomiques. Ainsi, la ligne
typiquement classique de Jennie Gerdes (grande, mince et élancée) se désagrège
sous les saccades et blocages de l'electric boogie (genoux en dedans, épaules
tordues, coudes pliés, nuque cassée), tandis que le breaker Guillaume Legras
réalise de virtuoses passes au sol, de même qu’une prodigieuse série de
pirouettes en verlan sur un accompagnement de piano : des tours sur la
tête avec, au summum de leur grâce, un retiré classique.
Dans le spectacle, les membres de la tribu Hush Hush Hush sont perpétuellement surveillés par une instance supérieure : en effet, le danseur Tayeb Benamara semble contrôler tout ce qui se passe du haut de sa chaise d’arbitre. Il donne le coup d’envoi de la pièce et son point final. Le regard de l’autre apparaît ainsi comme la clef de voûte du spectacle : outre les danseurs entre eux, les spectateurs sont constamment pointés du doigt. Dissocié, l’index devient moteur du mouvement et leitmotiv. Il montre, il désigne, il attire l’attention, il focalise et oriente le regard.
Le solo final de Tayeb Benamara dansé à la lisière d’une raie de lumière opère une décomposition du mouvement avec une précision chirurgicale. Dans un ralenti fascinant, ses gestes sont sectionnés comme sous l’effet d’un stroboscope. "Être" jusqu’au plus profond de ses tissus musculaires. "Être présent" sur scène comme dans la vie. Au début du spectacle, le danseur déclarait d'ailleurs : "Un présent, c’est toujours quelque chose de précieux". Traduisant à la fois une notion d'actualité et un don, cette phrase souligne la présence de l’interprète offerte au public. Tayeb Benamara joue aussi avec une vitre invisible, contre laquelle il se cogne, le long du rayon de lumière, comme sur une frontière infranchissable entre le public et le danseur. L’interprète sur scène apparaît ainsi comme un corps exposé sous une vitrine. En sous-vêtement, il livre un solo à la gestuelle hip hop épurée de tout cliché.
Dans le spectacle, les membres de la tribu Hush Hush Hush sont perpétuellement surveillés par une instance supérieure : en effet, le danseur Tayeb Benamara semble contrôler tout ce qui se passe du haut de sa chaise d’arbitre. Il donne le coup d’envoi de la pièce et son point final. Le regard de l’autre apparaît ainsi comme la clef de voûte du spectacle : outre les danseurs entre eux, les spectateurs sont constamment pointés du doigt. Dissocié, l’index devient moteur du mouvement et leitmotiv. Il montre, il désigne, il attire l’attention, il focalise et oriente le regard.
Le solo final de Tayeb Benamara dansé à la lisière d’une raie de lumière opère une décomposition du mouvement avec une précision chirurgicale. Dans un ralenti fascinant, ses gestes sont sectionnés comme sous l’effet d’un stroboscope. "Être" jusqu’au plus profond de ses tissus musculaires. "Être présent" sur scène comme dans la vie. Au début du spectacle, le danseur déclarait d'ailleurs : "Un présent, c’est toujours quelque chose de précieux". Traduisant à la fois une notion d'actualité et un don, cette phrase souligne la présence de l’interprète offerte au public. Tayeb Benamara joue aussi avec une vitre invisible, contre laquelle il se cogne, le long du rayon de lumière, comme sur une frontière infranchissable entre le public et le danseur. L’interprète sur scène apparaît ainsi comme un corps exposé sous une vitrine. En sous-vêtement, il livre un solo à la gestuelle hip hop épurée de tout cliché.
Bobo in Paradise
Compagnie Hush Hush Hush (Belgique)
Chorégraphie: Abdelaziz Sarrokh
Créé et dansé par : Boiana Anguelova, Candas Bas, Tayeb Benamara, Lima Lalitha De Valck, Jennie Gerdes, Guillaume Legras, Sylvain Veldkamp - Musique: Bo SpaenC
Scénographie: Niek Kortekaas - Video: Alda Snopek
Dramaturgie: Marc Goossens - Costumes: Else Bogaerts
Article dans Le Devoir : http://www.ledevoir.com/culture/danse/25220/besoin-d-expression-avec-hush-hush-hush
Compagnie Hush Hush Hush (Belgique)
Chorégraphie: Abdelaziz Sarrokh
Créé et dansé par : Boiana Anguelova, Candas Bas, Tayeb Benamara, Lima Lalitha De Valck, Jennie Gerdes, Guillaume Legras, Sylvain Veldkamp - Musique: Bo SpaenC
Scénographie: Niek Kortekaas - Video: Alda Snopek
Dramaturgie: Marc Goossens - Costumes: Else Bogaerts
Article dans Le Devoir : http://www.ledevoir.com/culture/danse/25220/besoin-d-expression-avec-hush-hush-hush
Photos sur le site de Frans Brood Productions : http://www.fransbrood.com
24, 25 et 26 avril 2003 à l’Usine C
http://www.usine-c.com
24, 25 et 26 avril 2003 à l’Usine C
http://www.usine-c.com
Photographies :
© Wim Van Capellen (2Pack, 2000) - © Isabel Devos (Bobo in Paradise, 2002)
© Benny De Grove (K’Dar, 1998) - © Isabel Devos (Bobo in Paradise, 2002)
© Benny De Grove (K’Dar, 1998) - © Isabel Devos (Bobo in Paradise, 2002)