jeudi 11 septembre 2003

Danse burlesque

Nous irons danser / Ce soir peut-être
Ou bien chahuter / Tous entre amis
Rien que d’y penser / J’en perds la tête
Mais oui, mais oui / L’école est finie…
(Sheila)

Septembre. La saison commence, on se bouscule dans les couloirs. Comme chaque année, Tangente invite une poignée de finissants de diverses formations en danse contemporaine. Tous ont répondu à l’appel et rendu leur copie: les bons élèves, les sérieux, les appliqués, les joyeux drilles et les rêveurs... Tous semblent répondre à un même sujet qui aurait pu s’intituler : « C’est quoi la danse pour toi? »

Au programme de la cuvée 2003, Manuel Roque présenté comme "autodidacte" issu de l’École nationale de cirque de Montréal propose un univers radicalement burlesque.

Brendon et Brenda

Flirtant avec l’art de l’absurde et du clown, trois personnages aux couleurs excentriques (Lucie Vigneault, Indiana Escach, Manuel Roque) performent dans l’esthétique kitsch d’un pistolet en plastique.

Affublé de lunettes, d’un fichu sur la tête, d’un maillot de football et d’un slip léopard enfilé sur un bermuda vert fluo, un couple trace des allées et venues rectilignes sur le plateau comme les parcours d’une routine frénétique dans une vie morne et plate.

Ils se cognent contre les murs, s’écrasent au sol sauvagement après une tentative de saut gracieux et replacent leurs grosses lunettes sur le nez après moult cascades au sol, tandis qu’une langoureuse chanson d’Etta James est sapée par le décalage d’une stéréo déréglée.

Leurs bouches grossièrement barbouillées de rouge à lèvre avalent des fraises Tagada : "Brendon et Brenda ne mordent pas. Ils se nourrissent assez peu. Et explorent en courant le vide de l’humanité et l’incarnation progressive de la robotisation".

La mécanique de leur train-train gestuel grince et la ballerine ménagère se fait un lumbago : son dos se recroqueville tandis que ses mouvements se saccadent. Leurs regards et les mouvements nerveux de leurs visages s’effectuent comme ceux d'un animal sur la défensive : "Brendon et Brenda ont peur de l’eau". Une mise en scène sensible et hilarante de la maladresse.


L'événement Danses Buissonnières présenté du 11 au 14 septembre 2003 à Tangente.

lundi 1 septembre 2003

Les Grands Ballets au parc

Décloisonner la danse

Chaque été, le parc La Fontaine nous réserve de belles soirées grâce à la programmation du Théâtre de Verdure. Installé près du lac, ce théâtre de plein air offre une série de spectacles (danse, concerts, etc.) sous le ciel étoilé, le bruissement des arbres et le vol des oiseaux. Une occasion rêvée de vivre une expérience théâtrale hors des quatre murs conventionnels.

Le Théâtre de Verdure offre gratuitement ces programmes, permettant à beaucoup d’accéder à des spectacle auxquels ils n’ont pas le luxe ou le goût d’aller assister habituellement.

Cette semaine, les Grands Ballets Canadiens, qui participent à l’événement depuis 10 ans, présentaient un programme composé par le chorégraphe espagnol Nacho Duato. Riche en contacts et en portés, le répertoire de Nacho Duato recèle de pas de deux d’une fluidité époustouflante. Or, cette virtuosité fut éclairée d’une lumière particulière : le petit vent de soirée qui soulevait les cheveux des danseuses accentuait la notion de légèreté ainsi que la grâce de leurs mouvements.

Le cadre extérieur de la représentation offrait ainsi une partition inédite au premier morceau. En effet, la musique de Schubert était délicieusement accompagnée des bruits de la ville : moteurs de voitures, sirène d’ambulance, cris d’enfants. L’œuvre s’immisçait dans l’actualité. Ou plutôt l’actualité surgissait soudain dans l’œuvre de manière insolite.

La plus-value du plein air
Le second programme, accompagné de chants traditionnels catalans, mettait en scène des paysans dans des costumes couleur terre. La gestuelle dansée rappelait les mouvements du travail agricole : semences, labours, etc. Or, s’intégrant parfaitement non seulement au propos mais aussi à l’atmosphère dégagée, un impressionnant vol d’oiseaux intervint pendant la chorégraphie. Colorant ainsi le tableau d’une tension dramatique à la fois sublime et cocasse, ce vol pouvait suggérer un signe prophétique annonçant le malheur.

Loin de « souiller » l’œuvre par leur passage tels des parasites, ces éléments perturbateurs interviennent dans la chorégraphie comme des effets rétroactifs qui l’inscrivent d’emblée dans une actualité plutôt que la cantonner dans un contexte fermé. En se confrontant ainsi aux paramètres extérieurs, l’œuvre s’enrichit d’éléments inattendus. D’une part, loin de la court-circuiter, ils l’éclairent et lui donnent au contraire davantage de sens. D’autre part, ils rendent accessible un univers souvent confiné et taxé d’hermétisme. Enfin, cette expérience de décloisonnement permet de constater le perpétuel va-et-vient entre l’art et la vie.

Outre contribuer à démystifier la danse, ces expériences confrontent la danse aux facteurs extérieurs, à la vie, à la « réalité », la teintent d’une actualité et, par-delà, l'éclairent d'un sens singulier.