Les effets spéciaux de
Matrix (Andy
et Larry Wachowski, 1999), particulièrement la
mise en scène des corps, sont devenus un classique du genre. Ils sont parodiés dans moult comédies, films d’auteurs et autres dessins animés (Scary Movie 3, David Zucker, 2003 ; La Tour Montparnasse infernale, Charles Nemes, 2000 ; Intervention divine, Elia Suleiman, 2001 ; Shrek, Andrew Adamson, Vicky Jenson, 2001) ou même dans de nombreux spots publicitaires. Au-delà du procédé
cinématographique, ce sont les mouvements des personnages qui constituent surtout
la référence. Non seulement on reconnaît le légendaire arrêt
sur image suivi d’un panoramique de la caméra, mais aussi la technique du « bullet
time » (une espèce de butô pour armes à feu) qui permet de suivre la trajectoire d’un projectile au ralenti, dont la fameuse arche en arrière réalisée par Keanu Reeves afin d’esquiver la
flopée de balles.
Véritable phénomène de société, ces mouvements et figures sont ainsi devenus des lieux communs qui investissent notre univers quotidien : un code, une grammaire, connue même par ceux qui n’ont pas visionné le film. Enfin, pour de nombreux critiques, l’unique intérêt de Matrix réside dans ses chorégraphies. La fluidité des mouvements rappelle en effet la technique de la capoeira.
Véritable phénomène de société, ces mouvements et figures sont ainsi devenus des lieux communs qui investissent notre univers quotidien : un code, une grammaire, connue même par ceux qui n’ont pas visionné le film. Enfin, pour de nombreux critiques, l’unique intérêt de Matrix réside dans ses chorégraphies. La fluidité des mouvements rappelle en effet la technique de la capoeira.
Derrière cette corporéité « à la Matrix »,
un chorégraphe chinois impose dorénavant sa signature à bon nombre de films d’action hollywoodiens. Cascadeur puis chorégraphe, réalisateur
et producteur de films d’arts martiaux depuis 1971, notamment pour Jackie Chan
et Jet Li, Yuen Wo Ping a longtemps travaillé dans l’ombre : les fans de films de kung-fu le connaissent, comme les frères Wachowski et Quentin Tarantino dont le premier film, Reservoir Dogs (1992) était un remake du film hongkongais City On fire (Ringo Lam, 1987). Né en Chine, il étudie à l’opéra de
Pékin et s’initie au kung-fu et à la cascade sous la tutelle de son père, un
des maîtres de Jackie Chan. Outre les ballets de la
trilogie Matrix, il signe les chorégraphies des combats pour des films
de genres différents tel le conte chinois Tigre et dragon (Ang Lee,
2000) ou encore l’hommage aux films d’arts martiaux Kill Bill (Quentin
Tarantino, 2003), tous deux inspirés du cinéma d’action hongkongais.
Le chorégraphe a disséminé son style au sein des films d’aventures hollywoodiens : depuis les luttes à mains nues (taekwondo, ju-jitsu) jusqu’aux duels au sabre (kung-fu, samouraï) en passant par d’époustouflantes batailles au pistolet : les « gunfights » (les fans parlent aussi de « Gun-Fu » et de « Bullet Ballet »). Expert en arts martiaux mais aussi spécialiste des scènes de cascade avec câbles, ses combats excellent en sauts, en acrobaties et en trouvailles gestuelles. Quelles que soient les armes, chaque combat offre ainsi le prétexte à une véritable danse aux mouvements et aux déplacements d’une incroyable fluidité. Au-delà de la violence, il est intéressant de se pencher sur les images du corps véhiculées dans le film, à travers les chorégraphies et la mise en scène des corps des acteurs.
Le chorégraphe a disséminé son style au sein des films d’aventures hollywoodiens : depuis les luttes à mains nues (taekwondo, ju-jitsu) jusqu’aux duels au sabre (kung-fu, samouraï) en passant par d’époustouflantes batailles au pistolet : les « gunfights » (les fans parlent aussi de « Gun-Fu » et de « Bullet Ballet »). Expert en arts martiaux mais aussi spécialiste des scènes de cascade avec câbles, ses combats excellent en sauts, en acrobaties et en trouvailles gestuelles. Quelles que soient les armes, chaque combat offre ainsi le prétexte à une véritable danse aux mouvements et aux déplacements d’une incroyable fluidité. Au-delà de la violence, il est intéressant de se pencher sur les images du corps véhiculées dans le film, à travers les chorégraphies et la mise en scène des corps des acteurs.
Une arche pour esquiver les balles durant la technique du « bullet
time » (une espèce de butô pour armes à feu qui permet de suivre la trajectoire d’un projectile au ralenti). |
L’homme machine
Dans Matrix, l’homme est devenu
esclave de la machine - le
scénario de Matrix suit à ce titre un des thèmes privilégiés de la
science-fiction (Siclier et Labarthe, 1958) :
« L’humanité a voulu célébrer sa magnificence avec l’intelligence
artificielle. Nous dépendions des machines pour survivre. Nous voici victimes
de ce que nous appelons l’ironie du sort : les humains ne viennent plus au
monde naturellement » (dans le premier épisode de
Matrix, Morpheus révèle au héros ce qu’est le monde « réel »).
Les ordinateurs cultivent en effet les hommes dont ils tirent l’énergie
nécessaire à leur autonomie. Dotés de prises et baignant dans une espèce de liquide amniotique,
les corps de ces cyber-humains sont reliés à l’empire des
machines via des fils électriques évoquant le cordon ombilical. Reliés entre
eux par un réseau de connexions, ils vivent dans un monde virtuel programmé par la matrice. Conservé
dans des incubateurs, leur corps est inactif et les muscles sont
atrophiés : métaphore d’un monde où le mouvement est réduit à une
fonction virtuelle.
Pour anéantir l’homme, les machines s’attaquent au système informatique dont ils dépendent tel un virus électronique. Le seul moyen de l’éradiquer consiste à lutter contre l’ordinateur à l’intérieur même de son programme. Tel Luke Skywalker dans La Guerre des étoiles ou encore John Connor dans Terminator, la mission de Néo (anagramme de « One » qui représente l’Élu annoncé par la prophétie) consiste à terrasser l’ordinateur en franchissant tous les tableaux de son programme afin de parvenir au cœur de la mère-machine et percer le secret de son créateur, le tout, bien entendu, dans le but sauver l’humanité. Le concepteur de cet angoissant logiciel est appelé l’Architecte, un scientifique illuminé qui cherche avant tout à parachever son œuvre, une machine-scénographe, baptisée « la Matrice », programmée pour générer des décors et des situations multiples.
Les héros de Matrix sont des « rebelles » : en tant qu’ultimes représentants de l’espèce humaine, ils se battent contre un système établi, imposé et subi. La « révolution » de Matrix réclame à la fois un renversement de l’ordre et un retour à une époque révolue où les humains dominaient les ordinateurs. Grâce à leur organisme électroniquement modifié via des branchements greffés sur la peau, les hommes hybrides se connectent à la matrice et s’introduisent dans l’univers factice. Situés le long de leur colonne vertébrale (la centrale du mouvement), ces branchements leur permettent également de télécharger des logiciels à la manière d’un ordinateur afin d’acquérir diverses aptitudes. La quête du « contrôle » est ainsi un des leitmotivs du film : maîtriser non seulement le langage binaire des machines, mais également la mécanique complexe du corps humain à travers ses mouvements (acrobaties, combats, endurance…) comme ses émotions (sang froid, dominer sa colère, sa peur et ses sentiments amoureux). Morpheus, le guide et maître spirituel du héros, prodigue ainsi des conseils quasi-théologiques : « Tu dois te délivrer de tout : de la peur, du doute et du scepticisme. Libère ton esprit ».
Au niveau logistique, les deux derniers épisodes (Matrix Reloaded et Matrix Revolutions, 2003) représentent une effarante machinerie humaine. L’équipe des cascadeurs a en effet triplé et l’acteur Hugo Weaving compte désormais jusqu'à douze doublures pour son seul personnage (l’agent Smith). De plus, la scène de liesse du deuxième épisode rassemble 900 personnes dont une centaine de danseurs professionnels et dix principaux danseurs. Pour Charles Moulton (qui, outre la télévision et le cinéma, a dansé pour plusieurs compagnies américaines comme le Joffrey Ballet et Mikhail Baryshnikov), le chorégraphe de cette séquence, il s’agissait de remplir l’espace de monde et d’énergie afin de composer une danse « futuristic neo primitive » à travers une danse de masse aux ondulations suaves évoquant la rave party et la danse tribale. L’orchestration de cet immense mouvement collectif s’opère telle une gigantesque manœuvre militaire. Le groupe de 800 figurants avait quelques pas à faire ainsi que des improvisations guidées : « ils réalisent des pas similaires mais ils ne font pas la même chose en même temps. Ce n’est pas un chorus line, mais un environnement libre (…), à travers le rythme et l’individuation » (propos tirés d’une entrevue avec le chorégraphe publiée sur le site officiel : http://whatisthematrix.warnerbros.com, juin 2001). Figure de la connexion à l’autre, le contact tactile est récurrent dans cette chorégraphie qui suggère d’ailleurs la scène amoureuse se déroulant simultanément entre les deux héros. Un contact non pas virtuel mais charnel, dominé par l’émotion, contrairement aux machines qui, « limitées par une norme », ne peuvent ni créer, ni improviser face aux impondérables.
C’est d’ailleurs sur cette fibre sensible que Néo réagit, contrairement à tout programme parfaitement conçu pour répondre au plus pratique. Ce sentiment humain imprévisible par la machine provoque le bug du système. C’est également par ce plaisir humain que chacun semble « recharger ses batteries ». Cette notion de plaisir se repère également à travers un personnage baptisé le Mérovingien (joué par Lambert Wilson) qui recrée artificiellement la sensation de plaisir via des programmes pirates : vins, mets délicats et chocolats raffinés (clin d’œil amusant à la réputation française, dont la nationalité du personnage et de l’acteur semblent expliquer l'irrépressible penchant).
Pour anéantir l’homme, les machines s’attaquent au système informatique dont ils dépendent tel un virus électronique. Le seul moyen de l’éradiquer consiste à lutter contre l’ordinateur à l’intérieur même de son programme. Tel Luke Skywalker dans La Guerre des étoiles ou encore John Connor dans Terminator, la mission de Néo (anagramme de « One » qui représente l’Élu annoncé par la prophétie) consiste à terrasser l’ordinateur en franchissant tous les tableaux de son programme afin de parvenir au cœur de la mère-machine et percer le secret de son créateur, le tout, bien entendu, dans le but sauver l’humanité. Le concepteur de cet angoissant logiciel est appelé l’Architecte, un scientifique illuminé qui cherche avant tout à parachever son œuvre, une machine-scénographe, baptisée « la Matrice », programmée pour générer des décors et des situations multiples.
Les héros de Matrix sont des « rebelles » : en tant qu’ultimes représentants de l’espèce humaine, ils se battent contre un système établi, imposé et subi. La « révolution » de Matrix réclame à la fois un renversement de l’ordre et un retour à une époque révolue où les humains dominaient les ordinateurs. Grâce à leur organisme électroniquement modifié via des branchements greffés sur la peau, les hommes hybrides se connectent à la matrice et s’introduisent dans l’univers factice. Situés le long de leur colonne vertébrale (la centrale du mouvement), ces branchements leur permettent également de télécharger des logiciels à la manière d’un ordinateur afin d’acquérir diverses aptitudes. La quête du « contrôle » est ainsi un des leitmotivs du film : maîtriser non seulement le langage binaire des machines, mais également la mécanique complexe du corps humain à travers ses mouvements (acrobaties, combats, endurance…) comme ses émotions (sang froid, dominer sa colère, sa peur et ses sentiments amoureux). Morpheus, le guide et maître spirituel du héros, prodigue ainsi des conseils quasi-théologiques : « Tu dois te délivrer de tout : de la peur, du doute et du scepticisme. Libère ton esprit ».
Au niveau logistique, les deux derniers épisodes (Matrix Reloaded et Matrix Revolutions, 2003) représentent une effarante machinerie humaine. L’équipe des cascadeurs a en effet triplé et l’acteur Hugo Weaving compte désormais jusqu'à douze doublures pour son seul personnage (l’agent Smith). De plus, la scène de liesse du deuxième épisode rassemble 900 personnes dont une centaine de danseurs professionnels et dix principaux danseurs. Pour Charles Moulton (qui, outre la télévision et le cinéma, a dansé pour plusieurs compagnies américaines comme le Joffrey Ballet et Mikhail Baryshnikov), le chorégraphe de cette séquence, il s’agissait de remplir l’espace de monde et d’énergie afin de composer une danse « futuristic neo primitive » à travers une danse de masse aux ondulations suaves évoquant la rave party et la danse tribale. L’orchestration de cet immense mouvement collectif s’opère telle une gigantesque manœuvre militaire. Le groupe de 800 figurants avait quelques pas à faire ainsi que des improvisations guidées : « ils réalisent des pas similaires mais ils ne font pas la même chose en même temps. Ce n’est pas un chorus line, mais un environnement libre (…), à travers le rythme et l’individuation » (propos tirés d’une entrevue avec le chorégraphe publiée sur le site officiel : http://whatisthematrix.warnerbros.com, juin 2001). Figure de la connexion à l’autre, le contact tactile est récurrent dans cette chorégraphie qui suggère d’ailleurs la scène amoureuse se déroulant simultanément entre les deux héros. Un contact non pas virtuel mais charnel, dominé par l’émotion, contrairement aux machines qui, « limitées par une norme », ne peuvent ni créer, ni improviser face aux impondérables.
C’est d’ailleurs sur cette fibre sensible que Néo réagit, contrairement à tout programme parfaitement conçu pour répondre au plus pratique. Ce sentiment humain imprévisible par la machine provoque le bug du système. C’est également par ce plaisir humain que chacun semble « recharger ses batteries ». Cette notion de plaisir se repère également à travers un personnage baptisé le Mérovingien (joué par Lambert Wilson) qui recrée artificiellement la sensation de plaisir via des programmes pirates : vins, mets délicats et chocolats raffinés (clin d’œil amusant à la réputation française, dont la nationalité du personnage et de l’acteur semblent expliquer l'irrépressible penchant).
Le surhomme
Selon la logique propre au jeu vidéo, les corps des personnages mis en
scène par la matrice sont les avatars des « joueurs » (c’est-à-dire
des corps virtuels). Chacun réalise
ainsi d’impressionnantes acrobaties et surtout encaisse un maximum de coups
sans souffrir puisque les blessures infligées au corps virtuel ne se
répercutent pas sur le corps réel (sauf lorsque « l’esprit » l’imagine :
on assiste alors à des blessures et même des morts psychosomatiques).
Pour continuer de jouer (c’est-à-dire de vivre, et donc de se battre), il
suffit de télécharger le logiciel adéquat et surtout, comme le précise avec
humour le héros lui-même, ses « mises à jour » ! Les corps sont
ainsi continuellement amenés à se perfectionner : se déplacer en équilibre
sur des rampes d’escalier, sauter très haut, courir sur les murs, exécuter des triples saltos vrillés sans être sorti de
l’école nationale du cirque.
De plus, comme dans un jeu vidéo, chaque
avatar possède une option personnalisée ou une arme secrète qui permet de
dépasser les limites du corps humain : traverser l’espace à une vitesse
fulgurante, se dédoubler, voler... Depuis ses débuts dans le premier épisode, l’avatar de Néo (le héros
interprété par Keanu Reeves) a développé d’importantes aptitudes physiques au
sein de la matrice, notamment au niveau de sa motricité fine (alors qu’il
utilisait une seule main dans le premier épisode, il combat dans les épisodes suivants avec
des gestes plus amples engageant tout le corps et manie toutes sortes d’armes)
et de son énergie cinétique : expert en acrobatie de haute voltige, il
parvient désormais à s’envoler comme Superman ! Enfin, outre le cliché du surhomme (un corps
glorieux, musclé, résistant, invincible), le corps du héros est porteur d’une mission
divine : son nom signifie non seulement l’anagramme
de « One » c’est-à-dire l’Élu, l’unique, mais également l’anagramme
de Noé, chargé de refonder l’humanité après l’apocalypse (Vian, 1978).
Inspirés par les comics-books américains et les mangas japonais, les Wachowski ont confié la réalisation des storyboards à des dessinateurs de la société Marvel (la référence en bande-dessinée fantastique). Geof Darrow, l’auteur de Hard Boiled, a ainsi conçu les décors post-apocalyptiques du monde des machines. Les actions et mouvements y sont savamment dessinés. La réalisation du film, tout comme les chorégraphies en sont particulièrement teintées : la décomposition de l’action confère au mouvement un maximum d’impact visuel. Les plans au ralenti dans les scènes d’actions permettent de voir un acteur commencer un saut de manière classique, tendre sa jambe au ralenti et finir son coup de pied à vitesse normale. Ce genre d’effet tiré des films d’animation mangas (Akira* de Katsuhiro Ôtomo, 1988 ; Ghost in the shell de Mamoru Oshii, 1995) est adapté dans Matrix à des acteurs en chair et en os.
(*) Ce
dessin animé, tiré d’une bande dessinée japonaise apocalyptique, présente un
synopsis similaire à Matrix : victime d’expériences visant à
développer les capacités psychiques, un adolescent doté d’une puissance que
lui-même ignore, se retrouve au cœur d’une légende populaire qui annonce le
retour prochain d’Akira, un enfant aux pouvoirs extraordinaires censé délivrer
Tokyo du chaos...
L’esthétique du combat
La mise en scène du mouvement et la chorégraphie sont devenus très
importants dans le cinéma d’action. Les
réalisateurs privilégient la « beauté » et la virtuosité du geste au
sens du combat. Via la chorégraphie, il s'agit de transformer l’art du combat en
art du spectacle. Passant du film en costume
d’époque à la science-fiction, Yuen Wo Ping renouvelle son répertoire via de nouveaux schémas chorégraphiques et
s’adapte à divers genres cinématographiques.
Distanciée par des chorégraphies spectaculaires, la violence s’estompe
au profit du mouvement et de la fluidité des déplacements pour des combats stylisés où le fantastique
(notamment via les décors) prime sur le réalisme. Alors que de nombreux films d’actions filment des
combats en plans serrés et leur insufflent une dynamique via un montage cut,
Matrix offre de véritables scènes de ballets en plan large, avec des séquences
d’enchaînement de coups complexes en une seule prise.
Ainsi, un combat surréaliste oppose le héros à
une centaine de répliques de Smith. Imperturbable, le héros ne panique pas. Il manie
aussi bien l’art du combat que celui de la danse contact improvisation. En
effet, il utilise le contact de ses partenaires afin de se propulser sans force
via des sauts vertigineux ou encore des portés d’une aisance déconcertante.
Cette virtuosité provient d’une technique qui consiste à maîtriser la notion du
poids comme le Ju-Jitsu.
Alors que ses bras sont immobilisés dans son dos par un adversaire coriace, il
utilise ce contact comme appui afin de projeter ses jambes en avant et
atteindre un autre ennemi. Enfin, le must du pas de deux est atteint
lorsque Néo passe sous le bras d’un de ses opposants pour lui flanquer un
virtuose coup de pied dans la figure par le biais d'une attitude arrière.
À travers le procédé du morphing, les corps se déstructurent, se décomposent, se déforment : un coup de poing s’enfonce dans une joue provoquant à l’échelle du visage une onde de choc comparable à celle provoquée par un hélicoptère s’écrasant sur un immeuble. Le ralenti et l’image vue sous plusieurs angles permettent de créer davantage de mouvement à l’écran, libérant le corps des acteurs en déjouant les notions d’espace et de temps. Ainsi disséqué, le mouvement engendre une micro-chorégraphie. Par l’étirement des notions de durée et de distance, les mouvements de chute multiplient les actions. L’univers factice de la matrice permet aux personnages de se libérer d’éléments qui contraignent généralement le mouvement, tels que la vitesse ou encore la gravité. Affranchis du facteur poids, les personnages franchissent d’incroyables distances, réalisent de surprenants sauts avec tours à l’horizontale (tels les "baril turns" de Louise Lecavalier, l’illustre danseuse de la compagnie La La La Human Step dirigée par Edouard Lock) ou encore marchent au plafond (rappelant les plans inversés des Petites pièces montées de Philippe Decouflé) et combattent dans les airs, comme en apesanteur.
À travers le procédé du morphing, les corps se déstructurent, se décomposent, se déforment : un coup de poing s’enfonce dans une joue provoquant à l’échelle du visage une onde de choc comparable à celle provoquée par un hélicoptère s’écrasant sur un immeuble. Le ralenti et l’image vue sous plusieurs angles permettent de créer davantage de mouvement à l’écran, libérant le corps des acteurs en déjouant les notions d’espace et de temps. Ainsi disséqué, le mouvement engendre une micro-chorégraphie. Par l’étirement des notions de durée et de distance, les mouvements de chute multiplient les actions. L’univers factice de la matrice permet aux personnages de se libérer d’éléments qui contraignent généralement le mouvement, tels que la vitesse ou encore la gravité. Affranchis du facteur poids, les personnages franchissent d’incroyables distances, réalisent de surprenants sauts avec tours à l’horizontale (tels les "baril turns" de Louise Lecavalier, l’illustre danseuse de la compagnie La La La Human Step dirigée par Edouard Lock) ou encore marchent au plafond (rappelant les plans inversés des Petites pièces montées de Philippe Decouflé) et combattent dans les airs, comme en apesanteur.
Affranchis du facteur poids, les personnages combattent en apesanteur... |
Le prototype
Outre les 250 000 Sentinelles,
sortes de pieuvres électroniques, programmées pour exterminer la dernière
enclave humaine, la figure du méchant est incarnée par un personnage qui
prolifère de manière angoissante : l’agent Smith. Affublé
du patronyme le plus commun des États-Unis, l’agent Smith représente la norme
de la majorité régnante. Tout d’abord, son look soigné (costume
cravate) lui donne l’allure typique du cadre modèle, avec lunettes noires à la mode. Aucune
imperfection corporelle ne semble tolérée : rasé
de près, cheveux peignés en arrière, dents extra blanches. Il aime l’ordre et la propreté. En gros, il
représente le prototype idéal de l’Américain moyen. Matrix, un film
subversif? Programmé pour convertir ses adversaires vaincus à son
effigie (procédé assez pratique pour distinguer les méchants des gentils), il
accomplit un programme d’épuration ethnique. Comme dans Bienvenue à Gattaca
(Andrew Niccol, 1997) – un monde futuriste où les humains sont engendrés via la
manipulation génétique –, tout ce qui ne correspond pas à la perfection doit
être aussitôt éliminé. L’agent Smith se complaît ainsi dans un univers kaléidoscopique qui ne
reflète que son image : au-delà du désir narcissique de tout cloner sur
son passage, il va jusqu’à épousseter la veste et ajuster lui-même le nœud de
cravate de ses victimes transformées à son effigie… À l’opposé, les rebelles composent un groupe
physiquement hétérogène : hommes, femmes, blancs, noirs, minces, trapus,
imberbes, barbus. La diversité culturelle s’érige contre la menace de
l’homogénéisation.
Sous couvert de culture cosmopolite et de métissage, Matrix, comme bien d’autres films américains, propose un « aller et retour des codes d’un genre et de thématiques entre l’Occident et l’Asie » (Rolland, 2004). Les réalisateurs récupèrent les formes du cinéma asiatique (Champclaux, 2000) afin de revitaliser le cinéma d’action américain : « Depuis 1997 environ, la tendance s’est accélérée, il est particulièrement remarquable que le cinéma asiatique, dans son ensemble, influence le cinéma occidental notamment américain, (…) déjà conquis par les techniques martiales et l’humour de Jackie Chan et avant lui par les films avec Bruce Lee dont l’impact a été et est toujours très fort en Occident » (Rolland, 2004). En effet, depuis le succès de Matrix, les scènes d’action américaines usent et abusent des cascades en trapèze et des chorégraphes chinois (Corey Yuen pour X-Men, Bryan Singer, 2000 ; Donnie Yen pour Highlander : Endgame, Douglas Aarniokoski, 2000 et Blade 2, Guillermo Del Toro, 2000 ; Philip Kwok pour Le Pacte des loups, Christophe Gans, 2001).
Sous couvert de culture cosmopolite et de métissage, Matrix, comme bien d’autres films américains, propose un « aller et retour des codes d’un genre et de thématiques entre l’Occident et l’Asie » (Rolland, 2004). Les réalisateurs récupèrent les formes du cinéma asiatique (Champclaux, 2000) afin de revitaliser le cinéma d’action américain : « Depuis 1997 environ, la tendance s’est accélérée, il est particulièrement remarquable que le cinéma asiatique, dans son ensemble, influence le cinéma occidental notamment américain, (…) déjà conquis par les techniques martiales et l’humour de Jackie Chan et avant lui par les films avec Bruce Lee dont l’impact a été et est toujours très fort en Occident » (Rolland, 2004). En effet, depuis le succès de Matrix, les scènes d’action américaines usent et abusent des cascades en trapèze et des chorégraphes chinois (Corey Yuen pour X-Men, Bryan Singer, 2000 ; Donnie Yen pour Highlander : Endgame, Douglas Aarniokoski, 2000 et Blade 2, Guillermo Del Toro, 2000 ; Philip Kwok pour Le Pacte des loups, Christophe Gans, 2001).
À Hollywood, la mode est aux arts martiaux. Cheung-yan Yuen (le frère de Yuen Wo Ping) a entraîné aux arts martiaux des actrices telles que Cameron Diaz, Drew Barrymore et Lucy Liu pour Charlie et ses drôles de dames (McG, 2000) et Les Anges se déchaînent (McG, 2003). Copiés, plagiés, imités, les films apparaissent davantage comme des « produits » plutôt que comme des « œuvres » : « ces films de recettes sont devenus la base du cinéma commercial occidental qui surfent sur la mode du cinéma d’action asiatique et particulièrement du cinéma "à la John Woo", (…) reprennent leur forme et leurs techniciens, empruntent même à l’occasion des acteurs asiatiques connus » (Rolland, 2004). Leur succès relève surtout d’une stratégie promotionnelle. Enfin, dans leur grand recyclage des formes asiatiques, les cinéastes occidentaux comme les Wachowski, ne retiennent souvent que certaines figures de convention plutôt que leur fond symbolique : justice, honneur, partage, communion avec la nature, relation entre le corps et l’esprit. L’image et l’action priment, détachées de leur contexte social, spirituel, historique et culturel.
La versatilité du danseur comme corps idéal
Matrix prône ainsi dans son scénario
comme dans sa réalisation un idéal de corps parfait et multiple, capable de
s’adapter à toutes les situations, modelable et sculpté à souhait selon les
besoins du moment. À l’heure du numérique, des effets spéciaux et du virtuel,
les comédiens ont paradoxalement de plus en plus de cascades à réaliser eux-mêmes (Jones,
1999). Les réalisateurs ne se
contentent plus d’un plan serré afin de gommer l’inexpérience de l’acteur, ni
des doublures de dos en plan éloigné.
Avant même d’entamer le tournage du premier épisode de Matrix, les acteurs principaux ont suivi quatre à six mois d’entraînement sous la direction du Maître Yuen Wo Ping. Quasiment le double fut nécessaire pour les deux autres épisodes : « L’entraînement pour ces deux films était probablement trois fois plus difficile que pour le premier. Les séquences de combats et le travail avec les câbles sont beaucoup plus complexes, il y a plus de mouvements dans un seul combat de Matrix Reloaded que dans le premier Matrix entier » (Keanu Reeves, 2003).
Beaucoup se sont d’ailleurs blessés durant le tournage. Suite à son entraînement de sept heures par jour, Keanu Reeves est devenu ceinture noire en taekwondo : « Plus j’en faisais et plus ils me faisaient faire plus. Et quand je pouvais maîtriser une chose, ils me demandaient d'en maîtriser deux. Et quand nous filmions, les Wachowski me demandaient d’en faire sept ! » (Keanu Reeves, 2003). Le « coup de pied du scorpion » réalisé en plein saut par Carie-Ann Moss (Trinity) a demandé six mois d’entraînement à l’actrice ! Le métier d’acteur présente ainsi un nouvel enjeu et semble désormais demander autant d’entraînement physique que celui du danseur.
Références :
Jacques Siclier et André S. Labarthe. Images de la science-fiction. Paris : Editions du Cerf, 1958.
Boris Vian. Cinéma science-fiction [1978]. Paris : Le Livre de poche, 1998.
Frédéric Rolland. John Woo, un cinéaste sous influences. Mémoire de maîtrise d'études cinématographiques et audiovisuelles sous la direction de Jean-Paul Aubert. Université Paris VIII, 2004. http://batfredland.free.fr
Christophe Champclaux, Tigres et dragons : les arts martiaux au cinéma de Tokyo à Hong Kong. Paris : Guy Trédaniel, 2000.
Kent Jones, « Hollywood et la saga du numérique », Les Cahiers du cinéma, n° 537, juillet-août 1999.
Keanu Reeves, « Ice is your friend : not so basic training » [La glace est votre amie (pendant l’entraînement Reeves s'allongeait régulièrement dans une baignoire remplie de glaces)] ; texte en ligne sur MatrixReloaded, notes de production, traduit du site officiel par le site code-matrix.net, 2003.
Avant même d’entamer le tournage du premier épisode de Matrix, les acteurs principaux ont suivi quatre à six mois d’entraînement sous la direction du Maître Yuen Wo Ping. Quasiment le double fut nécessaire pour les deux autres épisodes : « L’entraînement pour ces deux films était probablement trois fois plus difficile que pour le premier. Les séquences de combats et le travail avec les câbles sont beaucoup plus complexes, il y a plus de mouvements dans un seul combat de Matrix Reloaded que dans le premier Matrix entier » (Keanu Reeves, 2003).
Beaucoup se sont d’ailleurs blessés durant le tournage. Suite à son entraînement de sept heures par jour, Keanu Reeves est devenu ceinture noire en taekwondo : « Plus j’en faisais et plus ils me faisaient faire plus. Et quand je pouvais maîtriser une chose, ils me demandaient d'en maîtriser deux. Et quand nous filmions, les Wachowski me demandaient d’en faire sept ! » (Keanu Reeves, 2003). Le « coup de pied du scorpion » réalisé en plein saut par Carie-Ann Moss (Trinity) a demandé six mois d’entraînement à l’actrice ! Le métier d’acteur présente ainsi un nouvel enjeu et semble désormais demander autant d’entraînement physique que celui du danseur.
Références :
Jacques Siclier et André S. Labarthe. Images de la science-fiction. Paris : Editions du Cerf, 1958.
Boris Vian. Cinéma science-fiction [1978]. Paris : Le Livre de poche, 1998.
Frédéric Rolland. John Woo, un cinéaste sous influences. Mémoire de maîtrise d'études cinématographiques et audiovisuelles sous la direction de Jean-Paul Aubert. Université Paris VIII, 2004. http://batfredland.free.fr
Christophe Champclaux, Tigres et dragons : les arts martiaux au cinéma de Tokyo à Hong Kong. Paris : Guy Trédaniel, 2000.
Kent Jones, « Hollywood et la saga du numérique », Les Cahiers du cinéma, n° 537, juillet-août 1999.
Keanu Reeves, « Ice is your friend : not so basic training » [La glace est votre amie (pendant l’entraînement Reeves s'allongeait régulièrement dans une baignoire remplie de glaces)] ; texte en ligne sur MatrixReloaded, notes de production, traduit du site officiel par le site code-matrix.net, 2003.