Quatre hurluberlus australiens vécurent ainsi exposés au su et au vu de tous les passants durant quinze jours. Logés, meublés et nourris avec les articles du magasin... Une communauté tout à fait burlesque dans un décor de soap opera.
Le premier prépare un gâteau dans les plats et casseroles
« La Baie », utilisant par la même occasion un panel d’objets
ménagers (disponibles en boutique), reconstituant ainsi, de manière parodique,
un véritable téléachat muet, ni indication de prix
(surprise à l’intérieur du magasin...). Il s’occupe de la cuisine et du
ménage, c’est le patriarche de la famille, celui qui organise la vie au sein de
cette cellule vitrée, le chef. Le deuxième essaie des costumes devant une glace. C’est le narcissique.
Il interroge l’œil amusé des voyeurs attroupés afin de trouver la chemise qui
siérait le mieux à sa cravate multicolore. Le troisième, le rigolo de la bande,
singe les spectateurs médusés et se livre à des clowneries et pantomimes diverses. Quant au dernier, le fumiste du groupe, il se repose sur un lit,
démontrant et la qualité du sommier, et la douceur 100% coton de ses draps...
Jour et nuit, on peut suivre les péripéties de ces individus
acteurs, mimes et danseurs 24h/24, jusque dans leur sommeil. Parfois, cette
micro-société se réunit pour fêter un anniversaire, régler un pas de danse,
entamer une chorégraphie qui se déplace sur toute la longueur des vitrines
(embarquant les spectateurs, futurs clients hypothétiques, avec eux), ébaucher
une valse ou organiser une course poursuite à travers les étals discrètement
dressés dans cette stratégique reconstitution de (fausses) pièces d’intérieur.
La
Baie, commanditaire officiel de l’événement artistique, bénéficie, en
retour, de l’image culturelle et politique que lui confère son obole. Un
concept inédit, tant spectaculaire que publicitaire. Cette fonction commerciale
de vendeur soudain confiée à des
artistes paraît contradictoire à un idéal esthétique qui chercherait à
« montrer » une certaine authenticité, la vie telle qu’elle est. Le grand paradoxe de toute
représentation.
Cependant, outre son caractère de campagne promotionnelle,
ce « spectacle » est une véritable performance, mettant à l’épreuve
les interprètes et les confrontant aux limites de leur art. En effet, ils
s’exposent entièrement, s’exhibant dans une pseudo vie privée, parodiant ainsi
les menus gestes quotidiens de tout un chacun, mais abandonnant et sacrifiant,
pour un temps, la leur, la « vraie », au profit d’une expérience
scénique unique. Cet event exige un
travail considérable de la part d’un artiste, un don entier. Il représente un
défi exceptionnel, voire une prouesse. C’est un métier (il ne faut pas oublier qu’ils font ça, aussi, pour gagner leur vie) qui nécessite une
attention et une concentration en perpétuel éveil, prêt à improviser à tout
moment, et qui implique donc de demeurer constamment dans la sphère du jeu et de la représentation (on est bien
loin des revendications syndicales sur le temps de travail et autres 35
heures !).
On peut les voir non seulement dans l’avenue du magasin qui
les héberge, mais aussi à travers le monde entier, via les webcam qui filment
en permanence ces tranches de vie et les transmettent aussitôt sur la toile : http://www.urbandreamcapsule.com.
Peut-être les rencontrerez-vous, au détour d’un grand
boulevard quelque part sur la planète ou au gré des vagues en surfant sur
internet.
(*) Équivalent canadien des grands magasins parisiens du
boulevard Haussmann tels que le Printemps
ou les Galeries Lafayette, voire du Harrod’s londonien.