lundi 12 février 2001

Joséphine Baker : La Diva du Charleston


E

n 1925, Joséphine Baker débarque à Paris avec la Revue Nègre au Théâtre des Champs Elysées. Son irrésistible strabisme, son charleston endiablé et, un an plus tard, son illustre ceinture de bananes, font fureur. Sa vie la mènera jusqu’en 1975 à Bobino où, à 69 ans, elle irradie encore la foule en délire. Pour les 75 ans de la Revue Nègre et les 25 ans de sa disparition, les propriétaires du Château des Milandes, ancienne demeure périgourdine de Joséphine Baker, présentent une nouvelle exposition dans le lieu même où fut créé le mythique spectacle :
Joséphine monte à Paris
Music Hall & paillettes
 
Ainsi, jusqu’au 28 février 2001, une visite au Théâtre des Champs-Elysées constitue un délicieux pèlerinage. L’espace Drouot Montaigne est transformé en une véritable caverne d’Ali Baba : photographies, dessins, peintures, affiches, lithographies, gravures, lettres, autographes, partitions, ouvrages, disques, films, mais aussi costumes de scène, robes de soirée, bijoux et effets personnels ponctuent le parcours intrigant d’un destin exceptionnel.

Dès 1926, outre des poupées dessinées à son effigie, la vedette commercialise sa propre gamme de produits cosmétiques : l’huile solaire la « Baker-oil » ; le « Bakerfix », une gomina en poudre « qui remplace les lotions, sans adjonction d’eau », également disponible en pot et en tube ; et enfin le « Bakerskin » qui remplace le bas de soie. La mode « Joséphine » est lancée et, pas moins d’un an après son arrivée en France, un cabaret parisien s’ouvre à son nom rue Fontaine.

En 1927, les premiers mémoires de l’artiste, écrits par Marcel Sauvage et illustrés par Paul Colin, sont publiés alors que « la créatrice du charleston et l’idole des foules » triomphe, à 21 ans, dans la nouvelle revue des Folies Bergères. Miss Baker entre dans la légende.

À partir de 1930, la chanteuse vante les mérites de diverses marques publicitaires : « J’ai deux amours… Mon auto cuiseur et mon perco thermos » ; « Joséphine Baker est enregistrée chez Columbia et écoute ses disques sur le radio-gramophone Columbia » ; « C’est à la lotion Garnier que je dois la santé de mes cheveux ». Son visage illustre même un camembert baptisé « Charleston » !

Connue et acclamée dans le monde entier, le public parisien demeure fidèle à l’artiste qu’il a découverte au Théâtre des Champs Elysées et consacrée aux Folies Bergères. Miss Baker le lui rend bien avec un tube créé en 1931 au Casino de Paris pour le spectacle « Paris qui remue » : « J’ai deux amours, mon pays et Paris ». En 1934, elle joue, danse et chante La Créole d’Offenbach au Théâtre Marigny et tourne « Zouzou » avec Jean Gabin. Pendant la seconde guerre mondiale, elle illustre un comportement exemplaire à travers son engagement dans la Résistance. En 1956, elle présente ses premiers adieux sur la scène de l’Olympia… où elle revient en 1959 puis en 1968. Elle décède en 1975 lors de son grand retour à Bobino après 17 représentations triomphantes. 

Une petite salle sur la mezzanine permet de se recueillir. Son obscurité contraste avec le clinquant et les lumières du reste de l’exposition. Ambiance tamisée… Les visiteurs montent l’escalier un par un et découvrent dans la galerie des photos nues de Joséphine, des clichés inédits signés Lipnitzki, prises en 1926 dans l’atelier de Paul Colin.

Enfin, la petite Joséphine élevée dans un ghetto noir de Saint-Louis est devenue déléguée de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme et maman adoptive universelle d’une tribu arc-en-ciel de douze enfants d’origines différentes. De plus, elle participa, le 28 août 1963, à la marche de protestation contre la discrimination raciale et pour la reconnaissance de l’égalité des droits civiques parmi les 200 000 personnes qui entourèrent Martin Luther King ce jour-là. 

Au-delà du divertissement et des strass, Joséphine Baker, militante et engagée, a véhiculé un message d’espoir d’entente entre les peuples et a livré, tout au long de sa vie et de sa carrière, une farouche bataille contre le racisme. L’exposition se clôt sur l’hommage de plusieurs mannequins, dont Naomi Campbell et Linda Evangelista, grimées pour l’occasion à l’image de Joséphine Baker et photographiées par Peter Lindbergh. Non seulement, la renommée de la reine du charleston est internationale mais en plus elle demeure intacte avec le temps.

Jusqu’au 28 février 2001 : à l’Espace Drouot Montaigne
Théâtre des Champs Elysées 
15, avenue Montaigne - 75008 Paris - M° Alma Marceau

samedi 10 février 2001

Printemps sacrés

Le Sacre du printemps est un ballet chorégraphié en 1913 par Vaslaw Nijinski sur une musique composée par Igor Stravinsky. L’argument imaginé par le compositeur est le suivant : pour célébrer l’arrivée du printemps, un groupe de jeunes filles vierges exécute des danses sacrées. La cérémonie consiste à désigner l’une d’elle en vue de la sacrifier et bénir ainsi la terre nourricière. « L’Élue » débute alors une danse frénétique jusqu’à mourir d’épuisement. Bien qu’on ne compte désormais plus les reprises de ce spectacle par d’innombrables chorégraphes, l’œuvre la plus célèbre de Nijinski rencontre pourtant à sa création l’hostilité du public et provoque un charivari tel dans la salle du Théâtre des Champs-Élysées que le ballet disparaît de l’affiche après seulement huit représentations.



À l’époque, le ballet fait scandale. D’une part, la partition de Stravinsky opère un bouleversement esthétique radical. Pour donner un caractère primitif à son morceau, le compositeur assemble des éléments musicaux hétéroclites, ce qui produit, sur le public de 1913, un effet acoustique inhabituel : superposition d’harmonies, mélodies contrastées, timbres bruts, rythmique irrégulière… D’autre part, la violence des pas de danse réalisés offusque une grande partie de la salle. Nijinski impose aux danseurs une chorégraphie qui rompt avec l’harmonie convenue de la danse classique : les mains sont crochues, les corps tordus, les membres dissociés, les articulations anguleuses, « Les positions, traditionnellement en dehors, se tournent vers l’en dedans, les sauts s’aplatissent pour renforcer l’atmosphère pesante et la difficulté à s’arracher à sa condition (…) Les mouvements d’ensemble jouent sur des asymétries » (Marie-Claude Pietragalla, La Légende de la danse, Paris : Flammarion, 1999, chapitre « Nijinski ou l’avant-garde maudite », p. 130). 

La version du Sacre du Printemps de Nijinski (1913)
reconstituée par Millicent Hodson en 1987 avec le Joffrey Ballet

Solo de l'Élue interprété par Marie-Claude Pietragalla :

« Il est vrai que l’essence même de la danse sert d’argument à la pièce, à savoir son origine rituelle et parfois sacrificielle : cela peut expliquer l’attirance naturelle des chorégraphes pour cette œuvre-clé, au-delà de la rupture entre classicisme et modernité qui la caractérise » (Fabienne Arvers, programme du vidéodanse du Centre Georges Pompidou, janvier-février 2001, p. 23).

 

La multitude des relectures et autres ré-appropriations du Sacre du printemps par tant de chorégraphes atteste l’importance de cette œuvre magistrale. Presque 50 ans après Nijinski, Maurice Béjart propose, en 1959, sa propre version. Elle se caractérise par l’insertion d’un Élu masculin. Sa chorégraphie souligne ainsi un affrontement des sexes : les hommes agressifs et puissants s’opposent aux femmes craintives, « cette dualité à la fois antagoniste et complémentaire trouvant l’équilibre idéal dans l’union du couple » (Dictionnaire de la danse, Larousse, 1999, p. 632).

Le Sacre du printemps, revu et corrigé par Maurice Béjart en 1959
Duo final qui célèbre "l'union du couple" :


En 1975, dans la version de Pina Bausch, le sol est recouvert de tourbe. Les hommes sont torses nus et en pantalons noirs, les femmes en combinaisons blanches, la danse est convulsive, les mouvements se répètent de manière obsessionnelle. « De mains en mains circule nerveusement une étoffe rouge sang dont l’ultime détentrice sera l’Élue. (…) Les corps en sueur sont de plus en plus maculé [de terre], comme si s’inscrivaient sur chacun les stigmates du supplice qui attend l’Élue dont tout le groupe se fait complice » (Dictionnaire de la danse, op. cit., p. 633).

Le Sacre du printemps, version Pina Bausch (1975)
Solo final de l'Élue interprété par Malou Airaudo :

 
À voir : 
Les Printemps du Sacre : documentaire réalisé par Jacques Malaterre, avec des extraits des chorégraphies de Vaslaw Nijinski, Léonide Massine, Mary Wigman, Martha Graham, Mats Ek, Maurice Béjart et Pina Bausch (La Sept, 1993).

lundi 5 février 2001

Le Sacre d'un cheval

Créé en 1984, le Théâtre équestre Zingaro porte le nom d’un magnifique cheval, un frison noir, partenaire de Bartabas. Leur premier spectacle, intitulé Cabaret équestre, joué de 1984 à 1990, réunit sur la piste non seulement des chevaux et des hommes, mais aussi un chameau, des oies et des oiseaux de proie. Avec Opéra équestre (1991), Bartabas conjugue des numéros de voltige sur des chants berbères et géorgiens. Chimère (1994) se consacre à l’univers indou du Rajasthan. Dans des parures, turbans et drapés aux couleurs chaudes, chevaux et cavaliers se mêlent sur la piste, au gré des notes des chanteurs et musiciens indiens qui les accompagnent. Le spectacle Éclipse, créé en 1997 avec des danseurs, s’oriente vers l’Asie et joue sur les contrastes entre noir et blanc, ombre et lumière, le tout au son de musiciens et chanteurs traditionnels de Corée. L’illustre cheval Zingaro meurt durant la tournée internationale de ce spectacle.  

Triptyk en 2000 est un hommage à cette disparition, cette absence. Le Sacre du printemps et La Symphonie des Psaumes d’Igor Stravinsky, puis le Dialogue de l’ombre double de Pierre Boulez illustrent le récit d’un sacrifice, d’une perte. Outre les partitions musicales, le spectre du cheval fétiche s’inscrit à travers la scénographie : des sculptures blanches évoquent des squelettes chevalins. Ni accessoire, ni instrument, le cheval est sujet, muse, héros et cœur du spectacle. Même disparu, il demeure, plus qu’un partenaire, un alter ego.

Pour cette nouvelle création, Bartabas confronte ses chevaux à une partition métronomique : l’œuvre musicale est écrite et enregistrée. Cette fois, les musiciens ne sont plus sur scène pour se caler en fonction des retards ou avances de l’animal. Ils ne « suivent » plus les mouvements du cheval. Néanmoins, un troublant tableau présente justement quatre chevaux albinos librement lâchés dans l’arène : sans selle, ni encolure, ils improvisent paisiblement, folâtrent et se roulent dans la terre rougeâtre. La séquence semble alors étrangement chorégraphiée alors qu'elle est pourtant (paradoxalement) vouée à l'improvisation.

Réactions à chaud à la sortie du spectacle…
Entrevues de spectateurs

Tous viennent pour la première fois au Théâtre équestre d’Aubervilliers. Certains ont lu des articles dans Télérama, d'autres ont vu des extraits et interviews à la télévision.
Qu’est-ce qui fut inattendu pour vous ?
G : J’ai été surprise… mais je n’ai rien compris à l’histoire (si il y en avait une). L’inattendu a plutôt été du côté des rituels [Dans Triptyk, Bartabas met en scène des danseurs de kalaripayatt, un art martial du Kerala, un état du sud-ouest de l’Inde. Jadis pratiqué par les soldats des princes du Kerala, cette discipline physique et spirituelle demande dix années de travail et n’est pas destiné au spectacle, elle recouvre un état d’esprit].
J : Ce spectacle allait au-delà de l’idée vague que je m’en faisais. Il ne s’agissait pas de montrer des chevaux bien dressés, des cavaliers émérites et acrobates mais de les intégrer dans un propos où l’homme et le cheval se répondaient l’un l’autre, à égalité.
L : je ne m’attendais pas à voir un tableau sans cheval.

Que retiendrez-vous de ce spectacle ?
J : Le récit chorégraphique d'une histoire d'amour entre l'homme et le cheval. Leur communion par la danse et la musique. Le Sacre du printemps ressenti comme un rituel païen et primitif où danseurs et chevaux se cherchent, s’affrontent avec sauvagerie avant de trouver leur harmonie et leur épanouissement dans l'acte de vie. Ballet vivant et spectaculaire. Le Dialogue de l’ombre, où l’homme semble pleurer son ami cheval, représenté par des carcasses blanches, seul véritable décor du spectacle. Plastiquement beau mais un peu long. En plus, la musique de Boulez, faut aimer et… je n'y suis pas sensible. La Symphonie des Psaumesle rapport homme-cheval semble prendre une dimension métaphysique voire mystique. Pour Bartabas, le cheval serait-il devenu l’avenir de l’homme ? Ou par lui, le salut ? Faute de tout comprendre, on peut s'interroger… En tout cas, certainement la pièce (et la musique) la plus émouvante du spectacle.

Crédit photo : Antoine Poupel
Quelle(s) scène(s) vous a marqués ?
L : Les pyramides humaines qui se transforment sans cesse sur le dos des chevaux qui, eux, continuent de tourner, puissants et solides.
G : La scène où les femmes mettent une carotte dans leur bouche avant de la mettre dans les gueules de leurs chevaux tout blanc…
J : Tout d’abord, le ballet des chevaux blancs, notamment le moment où, spontanément, ils s'allongent sur le sol pour être enlacés par les danseurs. Et l'apparition à la fin du spectacle de Bartabas, vêtu d'une robe noire, seul, sur son cheval esquissant sur place, des pas de danse dans un silence quasi religieux avec pour seul accompagnement, le bruit des sabots. Magique.
Crédit Photo : Antoine Poupel
Connaissiez-vous Le Sacre du printemps de Stravinsky auparavant ? En aviez-vous déjà vu une version en spectacle ? Si oui, laquelle et que vous en reste-t-il ?

J : Pour moi, Le Sacre, c'était la version Deutsche Grammophon de 1977 dirigée par Karajan. Très intériorisée et pourtant d'une grande force dynamique, bref exceptionnelle ! Celle de Pierre Boulez me semble plus analytique, d'une plus grande rigueur, moins romantique aussi; néanmoins, classe !

E : Je me souviens de la version du Sacre de Nijinski à l’Opéra de Paris. Le rôle de l’élue était interprétée par Marie-Claude Pietragalla. À la fin, elle exécute une série de sauts extrêmement épuisante, c’est la scène du sacrifice. J’ai vu également des extraits vidéos de la version de Maurice Béjart. Ça m’a paru un peu ringard, un peu dépassé. Pourtant il paraît qu’à l’époque, il produisit une sacrée révolution ! C’était 1968 je crois, une grande époque ! En fait, contrairement à la version de Nijinski, c’est un élu qui est désigné à la fin. Et la scène du sacrifice devient un mariage chez Béjart. Je me souviens aussi du Sacre de Pina Bausch : alors là, ce fut un choc émotionnel très fort. J’ai lu depuis la biographie d’une des interprètes : cette pièce est devenue en quelque sorte l’initiation, le passage obligé, à passer pour chaque nouvel interprète. Je me souviens que l’élue répète jusqu’à l’épuisement une espèce de mouvement de bras qui s’enfonce dans le ventre, comme si la danseuse se donnait des coups de couteau dans les entrailles. Là aussi c’est la scène du sacrifice. C’est assez violent, la danseuse transpire et suinte, sa robe semble tomber en lambeaux. 

Extrait du spectacle Tryptik
 du Théâtre équestre Zingaro de Bartabas
Sur la musique du Sacre du printemps de Stravinsky,
orchestre dirigé par Pierre Boulez :


Toutes vos remarques personnelles sont les bienvenues.
J : Enfin, je vais répondre à la question que vous ne m'avez pas posée : « Que pensez-vous de Bartabas ? » Dorénavant, je le considère comme le Béjart du théâtre équestre ! 

Triptyk
 Jusqu’au 25 février 2001 au Théâtre équestre Zingaro
Le spectacle tournera à Moscou, Barcelone, Montréal, Toronto et New York
Puis reprise du 16 novembre 2001 au 31 décembre 2001 à Aubervilliers
176, avenue Jean Jaurès 93300 Aubervilliers
M° Fort d’Aubervilliers - Accès voiture : Porte de la Villette
Restauration possible sur place à partir de 19h
 Durée du spectacle : 1h45 sans entracte

Site :
http://www.bartabas.fr/Zingaro

Photos : Antoine Poupel

Bibliographie :
La ballade de Zingaro, Françoise Gründ, éditeur Chêne, 2000, 184 p., photos couleur.
Zingaro le cheval, Homeric, Tana Editions, 28 p., photos couleur.
Triptyk, livre programme du spectacle, textes de Françoise Gründ et André Velter, photographies d’Antoine Poupel, édité par Zingaro, mars 2000, en vente sur place ou par correspondance.
Zingaro, la saga des centaures, Anne-Marie Paquotte, hors série Télérama, 81 p.
Zingaro, suite équestre, André Velter, dessins d’Ernest Pignon-Ernest, Paris : Gallimard, 1998, coll. Folio n°3385, 142 p., illustrations en noir et blanc.

Films : Les vidéos des spectacles sont en vente sur place ou par internet.

À voir :
L’exposition Nijinsky (1889-1950) : le Musée d’Orsay célèbre le cinquantième anniversaire de la disparition de Nijinsky, jusqu’au 18 février 2001.