Il était une fois un royaume parfait dirigé par le
ridicule prince Dulac. Tout y est « prospère et pur » : l’entrée
est payante, avec des tourniquets tout propres. Tout y est uniforme, lisse et
rectiligne. À l’image du Roi Soleil, le règne de Dulac transparaît à travers la
danse. Les chorégraphies sont ordonnées, orthonormées et symétriques à souhait.
L’harmonie des proportions est telle que tous les danseurs ont la même taille
et la mécanique de leurs pas ressemble plutôt à une marche militaire.
Afin de garantir l’homogénéité et la pureté de son royaume, le prince Dulac vient de signer un avis d’expulsion concernant toutes les créatures féeriques. Le palais est ainsi « nettoyé » de ses lutins, chaperons rouges, méchants loups, sorcières, fées clochettes et autres animaux parlants. Un vent de délation traverse tout le pays : contre dix shillings, le vieux Gepetto se débarrasse de Pinocchio tandis qu’un fermier vend ses trois petits cochons... Tous sont embarqués dans des convois et abandonnés près d’un marécage où vit Shrek, un ogre ermite…
Entièrement réalisé par
des images de synthèse, ce dessin animé donne lieu à de minutieuses et
complexes chorégraphies des rictus. Les visages hyper mobiles sont garnis d’une
variété de moues impressionnante et d’une panoplie d’expressions amovibles.
Depuis la comédie musicale à la française singée par Robin des bois (incarné
par un Français à l’accent à couper au couteau et doublé dans la version originale par Vincent Cassel)
qui tente de reproduire un enchaînement de chorus line sur un air de bourrée
auvergnate (lignes, canons, combinaisons béjartiennes dans l’espace…).
Jusqu’aux scènes de combats, inspirées par les ballets de Bruce Lee, enrichies
du fameux arrêt sur image pendant un travelling panoramique de 360° (empruntée
à la technique de Matrix) et des cascades façon Yamakasi.
Bien plus qu’un anti-dessin animé (où le prince Dulac est un nabot complexé, mesquin et lâche, où la belle princesse rote et où l’ogre se torche avec les pages d’un conte de fée), Shrek, le Gargantua du XXIe siècle, est un anti-ballet. Véritable hymne aux danses populaires, il redonne (tel un Jérôme Bel dans The Show must go on) ses lettres de noblesses à la macarena, interprétée avec précision par les sept nains, et la danse hip hop devient une référence (les trois petits cochons breakent comme des oufs). Signe de ralliement, ces danses de liesse et danses de rues se dressent contre le pouvoir monarchique. Anticonformistes, elles représentent un signe de liberté (sexuelle et individuelle) à la fois fédérateur et dissident. Shrek (et ses pas de deux insolites entre un Obélix et une Lara Croft) est ainsi un manifeste de la chorégraphie disproportionnée, libre et improvisée, dictée par l’expression du plaisir : l’éternel mythe dionysiaque bouleversant l’harmonie apollinienne. Malgré un fond de morale américano-humaniste : « Les apparences et les préférences ont trop d'importance, acceptons les différences ».
Le site officiel en anglais avec animations flash, jeux et coloriages interactifs : http://www.shrek.com
Sur le site du festival de Cannes 2001 : http://www.cannes-fest.com/2001/film_shrek.htm
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