Intervention divine, le film d’Elia Suleiman,
se regarde comme une chorégraphie de danse contemporaine. En effet, le
réalisateur palestinien ne se soucie pas de raconter une histoire "cohérente",
mais compose une série de tableaux poétiques, burlesques et fantastiques, sans
lien apparent les uns aux autres, si ce n’est le thème qui les unit, à
savoir : l’accablement palestinien face à l’occupation israélienne en
Cisjordanie. Plutôt qu’une intrigue ficelée, avec un début, de l’action, du
suspense et une fin, Elia Suleiman préfère un collage de saynètes et une mise
en espace des corps à travers le cadre de sa caméra. Intervention divine s’attache
ainsi à peindre une atmosphère, et plus particulièrement un état de corps.
L’impasse politique de la Palestine engendre un état de malaise, de passivité
et d'aberration. Au-delà du constat désabusé du réalisateur, le film exerce une
dénonciation. Dénonciation de l’absurde par des séquences surréalistes. Dénonciation
de la passivité par la répétition. Dénonciation de la violence par
l’invraisemblance des combats.
Aux discours, Elia Suleiman préfère les séquences
visuelles. Plutôt
que de filmer le conflit israélo-arabe, le réalisateur choisit le quotidien des
civils palestiniens en Cisjordanie, où se lit autant de non-sens, de violence
et de douleur que sur le terrain de la guerre. Les contacts entre voisins s’établissent sous
des rapports haineux, à l’image du sentiment de méfiance continuelle entre les
deux pays frontaliers. Un homme dans son auto insulte les passants qu’il
croise, un autre détruit systématiquement toute construction routière devant
chez lui, un autre déverse ses poubelles chez son voisin, un autre jette
régulièrement une grenade dans un jardin. Le combat territorial s’exerce
partout. "Because you're mine" comme le chante Natacha Atlas dans la
version raï de I Put A Spell on you, un des titres de la bande sonore du
film. Ces querelles de voisinage présentent une métaphore, mais trahissent également
un état de tension latent. Derrière le non-sens de ces scènes quotidiennes
anodines, se dresse en filigrane l’enlisement du conflit israélo-palestinien.
La brutalité et la douleur s'implantent dans la banalité.
Un barrage israélien sert de décor à l’idylle
d’un couple palestinien : l’homme vit à Jérusalem, la femme à Ramallah.
Les deux amants se retrouvent dans une auto, sur le parking du check point
israélien situé à la frontière des deux villes. Attirés l’un vers l’autre, ils
aspirent à se rejoindre. Ainsi, leurs mouvements s’effectuent de manière
symétrique et leurs trajectoires respectives (déplacements, gestes, regards) se
combinent. Un plan large filme leur regard : ils se tournent l’un vers
l’autre au même moment, en harmonie, comme pour une danse à deux minimale, et
se serrent amoureusement les mains. Dans une chorégraphie tactile et sensuelle
qui se répète à chaque rendez-vous, les mains s’effleurent, se caressent
voluptueusement, les doigts s’entrelacent puis s’empoignent avec fougue. De leur
voiture, les deux amants assistent silencieux au spectacle des douaniers
israéliens, rêvant de traverser ensemble la frontière.
Le passage de la frontière s’effectue à travers des séquences oniriques où la mise en scène de l’espace aspire à un vent de liberté. Ainsi cette longue scène symbolique où la caméra suit le déplacement de la femme qui descend de sa voiture et traverse à pied le check point sous la mire des fusils israéliens. Elle porte une robe courte, de couleur rose, des talons hauts, des lunettes noires et les cheveux lâchés. Les armes s’abaissent sur son passage, les soldats semblent médusés et le check point s’écroule. Ou encore cette scène utopique d’un ballon, rose lui aussi, à l’effigie de Yasser Arafat qui franchit le poste transfrontalier par voie aérienne. Poussé par le vent, le ballon affiche le sourire du porte-parole palestinien sous les yeux ahuris des militaires en joue. La femme, comme le ballon de baudruche, incarnent dans ces séquences un symbole de liberté.
Le passage de la frontière s’effectue à travers des séquences oniriques où la mise en scène de l’espace aspire à un vent de liberté. Ainsi cette longue scène symbolique où la caméra suit le déplacement de la femme qui descend de sa voiture et traverse à pied le check point sous la mire des fusils israéliens. Elle porte une robe courte, de couleur rose, des talons hauts, des lunettes noires et les cheveux lâchés. Les armes s’abaissent sur son passage, les soldats semblent médusés et le check point s’écroule. Ou encore cette scène utopique d’un ballon, rose lui aussi, à l’effigie de Yasser Arafat qui franchit le poste transfrontalier par voie aérienne. Poussé par le vent, le ballon affiche le sourire du porte-parole palestinien sous les yeux ahuris des militaires en joue. La femme, comme le ballon de baudruche, incarnent dans ces séquences un symbole de liberté.
"- Un ballon essaye de passer! On peut le descendre ?
- Attendez les ordres!"
Le film transcrit ainsi une perte de repères générale : les malades fument dans les hôpitaux et un policier sort un prisonnier de son fourgon afin d’indiquer le chemin à une touriste égarée. Dans cet univers chaotique, l’inoffensif devient assassin : les enfants assassinent un père Noël et un noyau d’abricot déclenche l’explosion d’un tank israélien.
Les mouvements des soldats israéliens suivent
quant à eux la mécanique d’un ballet : comme en témoigne cette scène
muette où des militaires sortent de leur auto, se dirigent en chœur vers le
bord de la route et s’essuient les bottes en rythme. Cette synchronie parfaite
se retrouve lorsqu’ils s’entraînent et tirent sur des cibles illustrées
d'islamistes voilées : marches militaires, courses, acrobaties, roues,
pompes, chutes. Elia Suleiman imagine alors une riposte palestinienne
fantasmagorique à travers une séquence où une des cibles prend vie et livre un
combat héroïque. Telle Superwoman, une Super-Palestinienne entame la bataille
en tournant sur elle-même à une rapidité prodigieuse, bravant ainsi à la fois
vitesse et virtuosité du mouvement. Masquée d'un keffieh et protégée d'un bouclier en
forme de carte de la Palestine, la jeune femme triomphe seule des soldats israéliens.
Dans cette chorégraphie de haute voltige digne des combats de Ninjas, le
personnage palestinien s’élève dans les airs, affranchi des lois de la gravité
tel un être surnaturel, et s’immobilise dans les cieux comme le héros de Matrix,
les bras en croix tel un Christ, les balles de ses ennemis se figeant autour de
sa tête comme une couronne d’épines, pour enfin lancer des fléchettes ornées
d’un croissant et d’une lune, symboles de l’Islam.
Le film se clôt sur une séquence muette : une attente impassible devant une cocotte-minute. Emblématique de l’état de la Cisjordanie, elle bout et personne n’éteint le feu. Un état de tension latent, sous pression et toujours prêt à exploser.
Le film se clôt sur une séquence muette : une attente impassible devant une cocotte-minute. Emblématique de l’état de la Cisjordanie, elle bout et personne n’éteint le feu. Un état de tension latent, sous pression et toujours prêt à exploser.
Intervention divine (Yadon ilaheyya)
Prix du jury du Festival de Cannes 2002
Production: Ognon Pictures, Arte Cinema
Réalisation: Elia Suleiman
Scénario: Elia Suleiman
Montage: Véronique Lange
Photo: Marc-André Batigne
Musique: Mirwais, Natasha Atlas, Marc Collin...
Durée: 92 mn
Avec Elia Suleiman, Manal Khader, Nayef Fahoum Daher
"La
ville est tranquille", Vincy, Ecran noir : http://www.cannes-fest.com/2002/f_divine.htm
"Intervention divine en territoire conquis", Alice Beaumont, Libération, 4 novembre 2002.
"Intervention divine : la déclaration de guerred'Elia Suleiman", Jacques Mandelbaum, Le Monde, 21 mai 2002.
"Intervention divine en territoire conquis", Alice Beaumont, Libération, 4 novembre 2002.
"Intervention divine : la déclaration de guerred'Elia Suleiman", Jacques Mandelbaum, Le Monde, 21 mai 2002.
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