samedi 20 décembre 2008

Partager le mouvement

Quand le spectateur danse...

À l’heure de la télé-présence et de l’interactivité, les artistes se posent la question du spectacle « vivant » en plaçant le public au cœur de leur œuvre et de leur réflexion. Impliquer physiquement le spectateur est un fantasme qui devient une réalité, voire même un lieu commun. Désormais, certains chorégraphes mettent en jeu le corps du spectateur au sein de leur dispositif scénique. En reconfigurant l’espace de représentation ou en s’en évadant, leurs propositions interrogent la nature de leur rapport avec le public, soulevant à ce titre des enjeux à la fois esthétiques et politiques.
Les Lecteurs de David Rolland (2004)
Cherchant également à amener le spectateur au mouvement, Marina Wainer a conçu dans un autre registre La d-boîte. Créé au Théâtre National de Chaillot en 2005, ce projet consiste, comme le Bal Moderne inauguré dans le même lieu dix ans auparavant, à faire danser le spectateurCette installation ou « boîte à danser » propose au public d’interpréter en effet lui-même de courtes séquences chorégraphiées. Toutefois, cette fois-ci, l’aventure s’avère plus intimiste : en effet, l’expérience est individuelle et la présence du chorégraphe virtuelle. Le spectateur pénètre ainsi seul ou en couple dans une cabine (la « boîte ») et choisit dans un menu une danse parmi une trentaine de chorégraphies. Il suit ensuite les mouvements des danseurs à travers un dispositif de rétroprojection sur un miroir sans tain. Le spectateur danse alors virtuellement en duo avec le danseur dont il reproduit simultanément les mouvements. Filmé, celui-ci peut visualiser dès le lendemain sa prestation sur le site Internet du théâtre.

La d-boîte de Marina Wainer | Site internet : http://www.lafracturenumerique.com

En Europe, de nombreuses initiatives invitent le public à prendre part à la danse, notamment la compagnie David Rolland à travers ses chorégraphies participatives, ou encore l’étonnant Oogly Boogly destiné aux bébés âgés entre 12 et 18 mois. Conçu par Tom Morris et l’artiste improvisateur Guy Dartnell, cet atelier offre un véritable spectacle dont l’enfant est à la fois metteur en scène et acteur. 


Les flashmobs du groupe Improv Everywhere consistent à organiser les mouvements d’une foule de participants par le biais de consignes préenregistrées sur un lecteur mp3. L’effet de masse s’avère d’autant plus saisissant pour le badaud qui s’arrête là sans être au courant.


Cette idée a inspiré Emma Howes, qui a imaginé une chorégraphie intitulée Instructions for an Unplanned Absence. Ainsi, en mars 2008, lors de la première soirée Short & Sweet, Sasha Keinplatz, une des organisatrices de l’événement, est intervenue au micro pour excuser l’absence de la chorégraphe : « Elle n’est pas là, mais elle a laissé des instructions… » Un texte préenregistré est alors diffusé dans la salle de spectacle, invitant le public à se lever, à monter sur le plateau, à se regarder, à lever les bras et à remuer les doigts, à sauter, à aller au sol, à pointer une direction dans l’espace, etc. Les spectateurs qui le désirent agissent en suivant les consignes et assument eux-mêmes la performance pour ceux qui sont restés assis. Dans ce contexte, plus besoin de danseur puisque n’importe qui peut performer. Et ça fonctionne : en effet, quelle que soit la façon d’aborder le mouvement de chacun, non seulement l’effet de groupe produit un impact visuel, mais en plus, la diversité des interprétations – voire l’innocence de certaines – déclenche une émotion directe sur le spectateur.

Emma Howes, Instructions for an Unplanned Absence | Short&Sweet #1 (mars 2008)
Crédit : Jean-François Lalumière

lundi 15 septembre 2008

Duos entre danseur et spectateur

Avec le projet Entre deux coproduit en mars 2007 par Danse-Cité, le tandem kondition pluriel formé par la chorégraphe Marie-Claude Poulin et le concepteur en arts médiatiques Martin Kusch créait un espace de rencontre entre l’artiste et le spectateur. Comme pour le projet Hautnah ! de Félix Ruckert (également produit au Québec en 1999 et en 2000 par Danse-Cité) ou encore le « pseudo-spectacle » héâtre-élévision de Boris Charmatz présenté à Montréal dans le cadre du FIND en 2003, il s’agit d’un rendez-vous individuel qui s’adresse à un spectateur à la fois.

héâtre/élévision de Boris Charmatz : une installation pour un spectateur à la fois

Dans Entre-deux, le spectateur, enfermé, seul, dans un cube en bois, est mis en relation avec des danseurs par l’intermédiaire d’une projection sur écran. L’image de ceux-ci n’apparaissant que dans l’ombre du spectateur, ce dernier est amené à bouger afin de suivre la performance. Dans ce "spectacle captif", chaque solo se transforme alors en un savoureux duo avec le spectateur. Les danseurs interagissent en effet directement avec lui en fonction de ses mouvements et déplacements. L’œuvre se joue donc d’emblée à travers le corps du spectateur. Grâce à son dispositif médiatique, cette proposition met en relation non seulement deux lieux clos, mais également deux espaces symboliques habituellement séparés. Elle offre ainsi une expérience intime et interactive dans laquelle le spectateur, à la fois observateur et acteur de l’œuvre, devient partenaire de danse.


Dans le projet Hautnah ! de Félix Ruckert, créé en Allemagne en 1997, chaque spectateur choisit un danseur et négocie avec lui le prix de son billet avant d’assister, seul, à la performance. La relation individuelle entretient ainsi le doute (ou alimente le fantasme) chez le spectateur d'avoir assisté à une performance différente de celle des autres spectateurs. Pour l'installation éâtre/élévision conçue en 2002 par Boris Charmatz, le spectateur, seul dans une salle et couché sur un piano, est invité à regarder une télévision qui se substitue alors à la boîte noire du théâtre : "On vient à héâtre – élévision un par un, mais on y trouve le confort d’une fumerie d’opium. On a le droit à un demi-sommeil mérité et qui ne nuit pas au processus". Avec Écoute pour voir d’Emmanuel Jouthe (qui a participé en tant qu'interprète à la reprise québécoise du projet Hautnah !), le spectateur est relié au performer par le biais d'un lecteur mp3 qui lui permet de partager la bulle musicale du danseur le temps d'un solo.



Ces propositions chorégraphiques convoquent un rapport au spectacle solitaire, individuel et intime : de l'expérience du huis clos en tête à tête avec un danseur au partage d'un univers sonore. Ces expériences confrontent le spectateur hors de l’anonymat confortable de la salle de spectacle et l’impliquent davantage dans une relation directe avec le danseur. Les chorégraphes aspirent ainsi à développer une expérience singulière, à travers laquelle la relation engagée avec le public prime sur le pouvoir de l’image et du corps performant.