Quand le spectateur danse...
À l’heure de la télé-présence et de l’interactivité, les artistes se posent la question du spectacle « vivant » en plaçant le public au cœur de leur œuvre et de leur réflexion. Impliquer physiquement le spectateur est un fantasme qui devient une réalité, voire même un lieu commun. Désormais, certains chorégraphes mettent en jeu le corps du spectateur au sein de leur dispositif scénique. En reconfigurant l’espace de représentation ou en s’en évadant, leurs propositions interrogent la nature de leur rapport avec le public, soulevant à ce titre des enjeux à la fois esthétiques et politiques.
Les Lecteurs de David Rolland (2004) |
Cherchant
également à amener le spectateur au mouvement, Marina Wainer a conçu dans un
autre registre La d-boîte.
Créé au Théâtre National de Chaillot en
2005, ce projet consiste, comme le Bal Moderne inauguré dans le même lieu dix
ans auparavant, à faire danser le spectateur. Cette installation ou « boîte à danser »
propose au public d’interpréter en effet lui-même de courtes séquences chorégraphiées.
Toutefois, cette fois-ci, l’aventure s’avère plus intimiste : en effet,
l’expérience est individuelle et la présence du chorégraphe virtuelle. Le
spectateur pénètre ainsi seul ou en couple dans une cabine (la
« boîte ») et choisit dans un menu une danse parmi une trentaine de
chorégraphies. Il suit ensuite les mouvements des danseurs à travers un
dispositif de rétroprojection sur un miroir sans tain. Le spectateur danse alors
virtuellement en duo avec le danseur dont il reproduit simultanément les
mouvements. Filmé, celui-ci peut visualiser dès le lendemain sa
prestation sur le site Internet du théâtre.
La d-boîte de Marina Wainer | Site internet : http://www.lafracturenumerique.com
En
Europe, de nombreuses initiatives invitent le public à prendre part à la danse, notamment la compagnie David Rolland à travers ses chorégraphies participatives, ou encore
l’étonnant Oogly Boogly destiné aux bébés âgés entre 12 et 18 mois. Conçu par Tom
Morris et l’artiste improvisateur Guy Dartnell, cet atelier offre un véritable
spectacle dont l’enfant est à la fois metteur en scène et acteur.
Les flashmobs du groupe Improv Everywhere consistent à organiser les
mouvements d’une foule de participants par le biais de consignes
préenregistrées sur un lecteur mp3. L’effet de masse s’avère d’autant plus
saisissant pour le badaud qui s’arrête là sans être au courant.
Cette idée a
inspiré Emma Howes, qui a imaginé une chorégraphie intitulée Instructions for an Unplanned Absence.
Ainsi, en mars 2008, lors de la première soirée Short & Sweet, Sasha
Keinplatz, une des organisatrices de l’événement, est intervenue au micro pour
excuser l’absence de la chorégraphe : « Elle n’est pas là, mais elle
a laissé des instructions… » Un texte préenregistré est alors diffusé dans
la salle de spectacle, invitant le public à se lever, à monter sur le plateau,
à se regarder, à lever les bras et à remuer les doigts, à sauter, à aller au
sol, à pointer une direction dans l’espace, etc. Les spectateurs qui le
désirent agissent en suivant les consignes et assument eux-mêmes la performance
pour ceux qui sont restés assis. Dans ce contexte, plus besoin de danseur
puisque n’importe qui peut performer. Et ça fonctionne : en effet, quelle
que soit la façon d’aborder le mouvement de chacun, non seulement l’effet de
groupe produit un impact visuel, mais en plus, la diversité des interprétations
– voire l’innocence de certaines – déclenche une émotion directe sur le
spectateur.
Emma Howes, Instructions for an Unplanned Absence | Short&Sweet #1 (mars 2008) Crédit : Jean-François Lalumière |
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