Dans Je suis un autre, Catherine Gaudet met en scène l’ambigüité de la relation à deux. Ni victime ni bourreau, chaque danseur
glisse subtilement d’un rôle à l’autre. Les rôles s’inversent et les rapports de pouvoir s’échangent pour un duo
cruellement (et délicieusement) troublant dans lequel on ne sait plus distinguer le bon du méchant. L’oppression n’est jamais à sens unique. Les actions se répètent mais ne se
ressemblent pas.
« Ma vie a un
petit arrière-goût de confusion. Je ne suis pas ce que je présente au
monde. »
Je suis un autre de Catherine Gaudet Danseurs : Dany Desjardins et Caroline Gravel Crédit photo : Julie Artacho |
L’immobilité scalpe le mouvement pour
lui conférer une dimension inattendue : une scène de coït se cristallise
soudain dans une imagerie biblique de pietà.
Qui souffre, qui
jouit ? Les troublants corps à corps qui unissent Caroline Gravel à Dany
Desjardins sont aussi désarmants qu’imprévisibles. La tension dramatique plane
à travers la lenteur de leurs gestes et dans la décomposition de leurs ébats. Les arrêts sur image interrompent et découpent
l’action physique pour un silence teinté de drame. Un silence suffisamment long
pour nous faire basculer du trop-plein au vide, dans une sensation de vertige mêlée
à un insoutenable sentiment de malaise.
« Je surveille mes commentaires, je retiens mes gestes, je ne me
lance pas spontanément sur l’objet de mon désir et mon corps ne se
liquéfie pas lorsque j’essuie l’échec. »
Les interprètes baragouinent des paroles incompréhensibles, déformées par un état de corps primal qui engloutit littéralement le langage. Du réflexe de nourrisson à l’instinct animal, le désir de l’autre se perçoit comme un instinct de survie. Des séquences d’états de corps étranges (nourrisson, animal, pulsion sexuelle, transe orgiaque) glissent vers des séquences théâtrales désarmantes de réalisme où les deux danseurs se rencontrent : « Dany Desjardins ! Caroline Gravel ! Qu’est-ce que tu fais là ? J’étais cachée… » Ces mises en abyme et effets de réel basculent savamment dans le drame où la violence gratuite flirte avec l’absurdité. Une violence sourde émane de la pièce et des corps mis en scène.
« Je me contiens. Je demeure droit.
Souriant. Social. J’ai ma fierté.
Mais en dessous, je suis une zone
ambiguë et floue ».
Arrêt sur image. Et soudain, c’est Caroline Gravel qui
semble tenir les rênes de la situation. Elle est une autre. Qui manipule
l’autre ? Aucune relation n’est évidente. Le sens est malmené par des
états de corps qui trahissent des contradictions entre l’être et le paraître,
entre le désir de l’autre et l’envie d’être soi. L’ambiguïté du sentiment. Qui
suis-je ? Il s’agit à la fois pour l’individu de rentrer dans le cadre et
tenter d’en sortir. Le carré de lumière dans lequel évoluent les deux danseurs
est d’ailleurs cerné d’une obscurité qui semble parfois littéralement les
aspirer.
« Je suis végétal, animal, matière en devenir. Je suis
un autre. » (Catherine Gaudet)
À travers le chaos intime surgit le partage d’un drame social dans lequel l’identité vacille. Nous sommes des autres...
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