samedi 4 octobre 2014

Voyage poétique à travers les états de corps

Crédit photo : Marilène Bastien
Seul sur scène, le danseur respire.
D’abord de manière imperceptible.
Puis sa respiration s’amplifie pour secouer progressivement l’ensemble de son corps.

Sur le Requiem de Fauré, il se fond dans un état de transe quasi-mystique. Véritable don de soi, sa danse évanescente est sublimée par la musique christique.

Corps en crise, dysfonctionnel et désarticulé.
Axé sur l’action, le visage du danseur demeure détaché.
Cette neutralité enrichit le propos en ouvrant le sens.

Manuel Roque incarne différentes couches d’identités à travers la pluralité des états qu’il traverse. Il déconstruit tranquillement chaque position pour glisser vers une série de déséquilibres tantôt guidé par le genou, tantôt par le bassin. Chaque partie du corps semble indépendante. Malléable, ce « corps matière » devient le réceptacle d’images poétiques. 

Corps animal qui s'ébroue.
Corps circassien qui se contorsionne.
Corps organique qui vibre.
Bras vaporeux qui ondulent.
Suspension du temps.
États de grâce avant la chute au sol.
D'une posture accroupie, une main émerge telle une fleur qui éclot.
Doigt en l'air, poing brandi, corps sans tête. 

De par sa mouvance permanente, cette multiplicité d'images produites par le corps du danseur s’oppose à l’imposante scénographie (signée Marilène Bastien) composée d’une sculpture à la fois divine et monstrueuse, menaçante et protectrice, énigmatique et brillante, immobile et protubérante.

Data créé à l’Usine C à l’automne 2014
Chorégraphie et interprétation: Manuel Roque
Conseillères artistiques: Ginelle Chagnon, Indiana Escach, Lucie Vigneault
Scénographie, costume: Marilène Bastien | Lumières: François Marceau

lundi 9 juin 2014

"Il faut quelques secondes pour effacer un monde"

Klumzy.

Faire les 100 pas. Avoir ce sentiment que tu vas prendre la parole. Aimer que tu ne la prennes pas.
Tu précises : "Ce n'est pas encore commencé..."
Alors que si, bien sûr, le spectacle a déjà commencé. On y est déjà.
Ne serait-ce que par notre attente. Ne serait-ce que par votre présence sur scène. Ne serait-ce que par votre propre attente. Ne serait-ce que parce qu'on partage déjà ce temps et cet espace avec vous. Ne serait-ce que parce que l'on vous observe déjà. On vous surveille. On scrute le moindre de vos mouvements.
Bref : nous baignons déjà dans cet "être ensemble" du spectacle.

Attendre.
"L'avant-spectacle" fait partie du spectacle.
Il colore même tout ce qui va suivre.

Le public reste d'ailleurs éclairé. Soulignant implicitement que sa présence fait partie du "spectacle".

Klumzy.
C'est une photo.
Un portrait d'Ashlea Watkin mis en scène par Nicolas Cantin.
C'est donc une image de toi.
Mais c'est aussi une image de moi. Spectateur. Qui m'y projette en silence, dans les failles, entre les mots. 

Klumzy de Nicolas Cantin. Avec Ashlea Watkin. Photo : Nicolas Cantin
It's an image.
Garder cette phrase ouverte tout au long du spectacle : "It's an image".
Ce ne sont que des images. Ce sont seulement des images. C'est ça le "SPECTACLE".
Plusieurs facettes d'Ashlea. Une série d'instantanés choisis.
Qui déclenchent des images de nos propres souvenirs, cauchemars ou fantasmes.

Les voir s'effacer "en quelques secondes".
Ceci est un spectacle.
S P E C T A C L E.
Spectacle. Spectacle. Spectacle. Spectacle. Spectacle...


Klumzy.
Ou les métamorphoses d'Ashlea Watkin

Au-delà du masque, sa posture et ses mouvements la transforment.
La voir de dos, la voir barbue, ne plus la voir, voir une créature surgir du brouillard.
Le trouble de son regard. Sa bouche s'entrouvrir. Sa nuque se plisser. Ses gestes chercher. Hésiter. Errer. Se détourner vers nous. Me rappeler soudain que je suis là et que je la regarde. Qu'elle n'existe que parce que nous sommes là.
Klumzy de Nicolas Cantin. Avec Ashlea Watkin et Nicolas Cantin. Photo : Maxime Côté
Klumzy.
La présence du créateur. Qui regarde. Met en scène.
Contrôle. Lance la musique. Observe sa créature. Dirige. Intervient. Rompt. Brise. 
Tu t'inscris en contre-point. Pendant qu'elle se métamorphose. Pendant qu'elle se change. Pendant qu'elle s'habille.
Tu es une ombre. Son ombre. L'ombre d'Ashlea. Ou la tienne. Ou la nôtre. Peu importe.
Tu lâches ton fou. Tu exorcises.

Voir la table se déplacer. Et voir un monde se décaler. Voir la chaise vaciller. Et rester en suspens. Comme saisie par le temps. It's an image.
L'image d'un monde sur le point de basculer.

Klumzy.
C'est la fin. Vous avez disparu.
Et pourtant le spectacle demeure. Il s'incarne dans la lumière de Karine Gauthier. La tension. L'image. Le souvenir de vos présences qui hantent nos mémoires. Vos traces inscrites dans notre imaginaire.
C'est aussi ça, le "SPECTACLE".

Et en quelques secondes un monde s'efface...

vendredi 14 mars 2014

Au milieu de nulle part...

Soirée composée de sept soli.

Hypnotiques O.V.N.I.

Objet insolite - assez rare - qui réunit une myriade d'interprètes aussi différents que Linda Rabin, Sophie Corriveau, Catherine Tardif, Anne Thériault, Caroline Gravel, Frédéric Gagnon et Catherine Lalonde autour d'une esthétique aussi singulière que celle de Jean-Sébastien Lourdais.
Milieu de nulle part | Fabrication danse | Jean-Sébastien Lourdais
Sur la photo : Frédéric Gagnon | Crédit photo : Georges Dutil
Ce chorégraphe résolument atypique se démarque depuis plus d’une dizaine d’années dans le paysage chorégraphique montréalais par une démarche à la fois rigoureuse et insolite qui se nourrit des approches du Body Mind Centering et du Continuum.

Voir différents corps l'incorporer.
Avoir la sensation d'assister à un même et unique solo, relayé par les uns et les autres qui entrent tour à tour dans cet exercice du jeu des états de corps. Même s'ils sont différents de corps en corps (c'est d'ailleurs ce qui rend le spectacle aussi captivant).

Dans la lignée du solo Vers qui allait vers une destination inconnue, nous voici résolument plongés "au milieu de nulle part"...
 

Les éclairages de Jean Jauvin qui créent des îlots surgis du néant, contribuent à créer cette sensation du "nulle part". Cette danse qui échappe au sens et au cérébral nous place résolument dans une écoute du corps qui se métamorphose de manière continue. Délicieuse étrangeté. 

Extrait du solo Vers interprété par Jean-Sébastien Lourdais lui-même :