mardi 6 mars 2001

Le Tabloïd des Anges

Récit d’une aventure chorégraphique à travers la perception 

VOYAGE n. m. – lat. viaticum 1. Déplacement d’une personne qui se rend en un lieu assez éloigné. 2. (1445) Course que fait un porteur pour transporter qqn ou qqch. 3. (1966) FIG. Etat provoqué par l’absorption d’hallucinogènes. 

Bien plus qu’une simple représentation, la compagnie Ça d’Hervé Diasnas propose un délicieux voyage à travers la perception. 

FIL n. m. – lat. filum (…). Ne tenir qu’à un fil, à très peu de chose, être fragile, précaire. – Fil d’Ariane (de la pelote de fil qu’Ariane remit à Thésée pour lui permettre de ne pas s’égarer dans le Labyrinthe) ; fil conducteur ; fil rouge : ce qu’on peut suivre pour se diriger. 

Avant même de pénétrer dans la salle, une main surgit d’un rideau noir : présentant deux anneaux de fil, elle attend que des index s’y introduisent. Les spectateurs disparaissent alors deux par deux, accueillis en terrain inconnu par les danseurs eux-mêmes. Dans la pénombre, les hôtes du lieu éclairent le chemin grâce à des lanternes. Mi-anges, mi-officiant, ils portent de longues blouses blanches et marchent à pas glissés. D’étranges lunettes, en forme de petites passoires, dissimulent leurs yeux et semblent élargir leur champ de vision, à la manière des multiples facettes de l’œil d’une mouche. Guidé par le bout d’une ficelle, le voyageur, enveloppé dans une atmosphère sonore, déambule entre de hautes statues sombres. Puis, il est doucement invité à s’asseoir sur une estrade installée en plein milieu de la scène, le cœur du spectacle. 

ŒIL, plur. YEUX n. m. – lat. oculus 1. Organe de la vue (globe oculaire et ses annexes). 2. PAR EXT. Regard. Chercher, suivre qqn des yeux. 3. coup d’œil. – PAR EXT. Vue qu’on a d’un point sur un paysage. => point de vue. 4. FIG. Attention portée par le regard. « Une ville qui par sa situation attire l’œil du voyageur » (Balzac). 

Perturbé dans son orientation, le spectateur devine les gradins de la salle qui lui font face. Les règles sont inversées : la danse se déroule dans les tribunes vides tandis que le public se blottit au centre du plateau et devient même éclairagiste le temps d’un solo. Les interprètes dansent parfois si près que l’observateur sent l’air qu’ils déplacent sur leur passage, le souffle de leur respiration, l’odeur du coton qui les enveloppe, les remous du tissu permettant d’apercevoir quelques mots inscrits sur les corps. À la fois très proche et vaste, puis soudain lointaine et micro-détaillée, la danse frôle ou s'écarte du public, se jouant de la perspective, oscillant entre le gros plan et le point de fuite, passant de l’ensemble du corps à la segmentation. D’ailleurs, à l’entrée, les « guides » ont muni chaque visiteur d’une paire de petites jumelles de théâtre.

MAIN [më] n. f. – lat. manus ¤ Partie du corps située à l’extrémité du bras et munie de cinq doigts. 1. La main, organe du tact. Toucher, caresser. Mains qui tâtent, massent, palpent. 2. La main, organe de la préhension. Prendre, tenir. 3. La main, exécutant des gestes expressifs, symboliques. 4. La main, servant à donner, à recevoir. Glisser un billet dans la main de qqn.

Au loin, perchée sur les cimes des gradins inoccupés, débute une danse à six mains, hypnotique, à suivre à l’aide des jumelles. Les doigts se métamorphosent, les poings dessinent l’espace, les paumes se transforment, les phalanges se courbent et se crochètent pour évoquer des formes, des étoiles, des bonhommes et des visages.

« Le concept de micro-chorégraphie suppose, selon moi, une notion de point de vue au sens propre du terme. C’est pourquoi, certains dispositifs sont mis en place afin d’"a-percevoir" la danse au moyen d’optiques singulières, dévoilant celle-ci de manière "extra-ordinaire" » (Hervé Diasnas)
 
LANGUE n. f. – lat. lingua 1. Organe charnu, musculeux, allongé et mobile, placé dans la bouche. La langue, organe du goût. Avoir la langue bien pendue. Ne pas avoir la langue dans sa poche. Ne pas savoir tenir sa langue. Avoir un mot sur le bout de la langue. Avoir un cheveu sur la langue. Se mordre la langue. PROV. Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. 

Puis, un solo magistral, d’une microscopie magistrale, dansé derrière un miroir grossissant, met en scène une langue. Cette chorégraphie linguale peut être observée à travers la paire de jumelles. Les lèvres s’ouvrent et se ferment comme des rideaux de scène, afin d’offrir un numéro d’une virtuosité prodigieuse. Le palais devient l’espace d’un micro-théâtre : roulée, pointée, plane, la langue se plie et se déplie, se cabre, se cambre et se convulse, s’étire et grimace, danse avec un fluide époustouflant ou marque des arrêts stroboscopiques d’une précision foudroyante.


TRANSPORT n. m. – lat. transportare, de portare « porter ». (I) Fait de déplacer ou d’être déplacé => mouvement. (II) FIG. Vive émotion, sentiment passionné (qui émeut, entraîne) ; état de la personne qui l’éprouve => élan, enthousiasme, exaltation, ivresse.

Tout au long de cette expérience sensible, le public est transporté. Au sens figuré comme au sens propre, puisque les sièges glissent sous l’action des danseurs, transformant ainsi constamment, entre proximité et éloignement, le cadre de la salle. Tantôt alignés, tantôt en cercle, les corps des spectateurs sont déplacés tandis que les regards se croisent, s’échangent et se décroisent. Les volumes se dérobent : mouvants, ils s’élargissent, se rétrécissent et s’évanouissent sous la stature impassible des sculptures immobiles. Les repères spatiaux sont bousculés, tout comme le déroutant solo de cette danseuse dont les cheveux recouvrent entièrement le visage. Impossible de discerner le dos de la face dans cet espace en permanence redéfini. 

À la fin du périple, le spectateur est reconduit vers la sortie, toujours mené par un bout de ficelle et quelques lanternes. Une retraite dans le noir. Pour tout applaudissement, le silence de quelques pas feutrés et la discrétion du recueillement. Dans le couloir, une petite enveloppe se glisse entre les doigts. Au lieu des bravos de la foule en délire, les interprètes remercient leur public avec la poursuite d’un songe et, en cadeau, la légèreté d’une plume. 

LEVITATION n. f. – lat. levitas ”légèreté” 1. PARAPSYCHOL. Élévation d’objet pesant, spécialement le corps humain, par un procédé psychokinétique. Lévitation d’un yogi en état de transe. 2. PHYS. Soulèvement d’un corps en l’absence de liaison matérielle. Lévitation magnétique.

Compagnie Hervé Diasnas : Le Tabloïd des Anges
Exposition chorégraphique pour six danseurs et un plasticien

Direction artistique : Hervé Diasnas - Sculptures-installations : Christian Lapie
Avec : Valérie Lamielle, Laurence Langlois, Bruno Pradet, Christian Ben Aïm,

Eric Fessenmeyer, Hervé Diasnas, Juliette Trouillard
Musique : création sonore d’Hervé Diasnas et Thierry Rallet (régie son)
Costume : Véronique Didier - Création lumière : Julia Grand - Régie Lumière : Jean-Luc Mincheni

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