Avec Manège à
vide, Séverine Lombardo présente un tableau mouvant, dont les séquences se
répètent inlassablement telle une mécanique continue. La musique originale
composée par Andrzej Przybytkowski rappelle d’ailleurs la ritournelle d’une
boîte à musique. Des duos et trios se forment et se déforment, tissant la
chorégraphie minutieuse d’un désordre ambiant. Les couples s’échangent dans un
imbroglio enivrant. Les danseurs se poussent et se repoussent comme sur un
plateau mouvant sur lequel ils changeraient de place constamment.
Parallèlement, des rythmes techno et hip hop perturbent les mélodies de violon,
piano et accordéon qui se disloquent puis reviennent comme une rengaine récalcitrante.
Les costumes renvoient d’une part à la conformité via un camaïeu gris qui
uniformise les interprètes, et d’autre part à une notion d’intimité à travers
les jupons et camisoles qui dépassent des tenues. Les tissus gris et opaques
recouvrent l’individu tandis que les matières translucides le dévoile. Sous
l’étiquette d’un groupe homogène, les individualités se démarquent.
Le plaisir du tournis
La chorégraphie
s’organise dans un mouvement de spirale : « La terre tourne à une
allure folle (…), le monde change et bouge (…), tout va vite autour de
moi ». Les traversées, les sauts, les portés et les contrepoids
s’enchaînent et se répètent. Les sept interprètes sont littéralement
transportés par les flux et reflux du collectif : « Je me sens happée
par ce flot mouvant ». Comme le jeu de toupie étourdissant d’une
interprète lancée par ses camarades. Les actions du groupe orchestrées
jusqu’alors sous une forme ludique se transforment en mouvements d’oppression.
Le plaisir acidulé du tournis prend alors une saveur amère.
L’angoisse de la solitude
À travers cette
fièvre du collectif, l’individu s’enivre de mouvement, se fond dans la masse,
s’inscrit dans une communauté : « Je pourrais rester là, seule,
immobile, mais je ressens cette urgence d’aller vite à mon tour ». Les uns
sont ainsi transportés par la marée humaine tandis que les autres se noient
dans la foule. Le groupe manipule l’individu, le dénude et parfois le dévaste.
Quand le groupe disparaît, un être demeure, seul et perdu. Tour à tour, chaque
interprète se livre à l’expérience de sa solitude. Déséquilibré et sans repère,
il cherche le soutien des autres. Fragile, il marche à tâtons, les yeux fermés.
La soif de l’autre
Le contact
tactile est le leitmotiv gestuel de la chorégraphie : les danseurs se serrent,
se prennent par la main, se cajolent et s’enlacent. Comme des liens solidaires
qui s’attachent et se détachent, les uns dépendant des autres. Le groupe
représente ainsi un réseau de connexions : les contacts se multiplient et
une toile organique se tisse et se détisse indéfiniment. L’autre apparaît comme
une présence maternelle, rassurante, consolatrice. L’effusion exacerbée vient
combler le manque, compenser l’absence et la peur du vide : « je me
jette éperdument et toujours dans vos bras ». Sophie Des Gagné se bâfre de
biscuits tout comme elle dévore ses partenaires. Le corps de l’autre est
trituré comme une friandise déballée et mastiquée avec frénésie, pour
satisfaire non pas un sentiment de faim mais un désir imminent : étancher
le malaise de la solitude.
La répétition sempiternelle d’une expérience à deux se renouvelle comme un manège à vide : « je reproduis les mêmes erreurs ». Le besoin de l’autre comble le vide : « à la recherche de l’ultime vertige pour oublier, un peu plus, que je vais mourir seule un jour ». À l’heure de la communication, des réseaux, des connexions, des regroupements, des associations, n’y a-t-il plus aucune place pour l’individu ? La relation à l’autre peut devenir étouffante, aliénante et prendre le goût acide d’une pelure d’orange.
La répétition sempiternelle d’une expérience à deux se renouvelle comme un manège à vide : « je reproduis les mêmes erreurs ». Le besoin de l’autre comble le vide : « à la recherche de l’ultime vertige pour oublier, un peu plus, que je vais mourir seule un jour ». À l’heure de la communication, des réseaux, des connexions, des regroupements, des associations, n’y a-t-il plus aucune place pour l’individu ? La relation à l’autre peut devenir étouffante, aliénante et prendre le goût acide d’une pelure d’orange.
Manège à vide
Chorégraphie :
Séverine Lombardo
Interprétation : Sophie Des Gagné, Catherina Farina, Frédéric Gagnon, Aurélie Galibourg, Barthélémy Glumineau, Julie Le Beuze, Élodie Lombardo
Direction d’interprètes : Myriam Tremblay
Costumes : Jullie Desrosiers
Vidéo : Pascal Normand
Musique originale : Andrzej Przybytkowski
Présenté par le Département de danse de l'UQÀM dans le cadre des spectacles étudiants libres du 14 au 17 avril 2004 20h à l’Agora de la danse - 840 Rue Cherrier à Montréal
Interprétation : Sophie Des Gagné, Catherina Farina, Frédéric Gagnon, Aurélie Galibourg, Barthélémy Glumineau, Julie Le Beuze, Élodie Lombardo
Direction d’interprètes : Myriam Tremblay
Costumes : Jullie Desrosiers
Vidéo : Pascal Normand
Musique originale : Andrzej Przybytkowski
Présenté par le Département de danse de l'UQÀM dans le cadre des spectacles étudiants libres du 14 au 17 avril 2004 20h à l’Agora de la danse - 840 Rue Cherrier à Montréal
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