vendredi 24 novembre 2006

Espaces mouvants

Avec sa série intitulée « Split Stage/Double Territoire », Tangente propose une exploration fascinante de son espace scénique. Scindant sa salle en deux parties, le théâtre offre au public un programme double présentant non seulement deux univers chorégraphiques distincts, mais surtout deux manières d’habiter un espace réduit et, au-delà, d’aborder un rapport de proximité avec le public. Pour les deux premières éditions de cet événement, Karina Iraola plaçait le public en L, Peter Trozstmer, en U et Ségolène Marchand, face à face de part et d’autre de la salle, chacun présentant une perception de l’espace, et donc de la danse, différente. Étonnamment, même divisée, la surface de Tangente se révèle encore vaste et propice à de stimulantes expériences chorégraphiques. 

Switch de Séverine Lombardo

Pour répondre à cette contrainte, Séverine Lombardo a choisi de travailler sur la lumière, afin d’étendre son  champ spatial : l’obscurité offrant au spectateur la sensation d’un abîme vertigineux. Dans Switch, la chorégraphe redéfinit l’espace à travers une minutieuse manipulation de l’éclairage. Comme son titre l’évoque, l’espace et la danse se composent et se décomposent en fonction des interrupteurs allumés ou éteints, rendant le volume de l’espace aussi malléable qu’une boule de glaise.


Les mouvements sont pétris à même l’obscurité et la lumière. Manipulant elles-mêmes la plupart des sources lumineuses, les danseuses, habillées en bleu de travail, se révèlent les ouvrières du projet, à la fois interprètes de la chorégraphie et techniciennes de l’éclairage. Parallèlement aux découpes de lumière, l’utilisation de costumes (créés par Jasmine Catudal) transformables à l’aide de bandes velcro morcelle le corps des danseuses, dévoilant certaines surfaces de la peau au gré des ouvertures opérées dans le vêtement pour donner lieu à de savoureuses micro-chorégraphies. Les diverses « bébelles » lumineuses bricolées par la chorégraphe agissent en tant que véritables partenaires, tantôt veilleuse éclairant les danseuses, tantôt lampe de chirurgien sur un bras articulé éclairant soigneusement la partie du corps auscultée. Le mouvement même de ces lampes et abat-jours évolue parallèlement à celui des danseuses. 


Ce savant jeu de clair-obscur masque l’exiguïté du lieu. La danse s’étend d’ailleurs dans l’ombre, laissant deviner au spectateur le mouvement des corps et offrant ainsi une perception quasi-tactile de l’espace. L’environnement sonore est lui aussi échantillonné et manipulé en direct par le musicien Guido Del Fabbro, à l’aide de senseurs qui réagissent à la lumière et au son produits par les vêtements des danseuses. En écho à la manipulation de la lumière et du son, la chorégraphie se compose à partir de manipulations des corps. Les contacts entre les corps s’effectuent en effet comme les rayons lumineux entrent en contact avec la peau dénudée des danseuses. Des poses éclairées le temps d’un éclat de lumière, apparaissent et disparaissent de manière aussi fugace que la lumière. Les images et les mouvements s’impriment dans l’espace et dans notre mémoire comme des apparitions poétiques évanescentes qui s’inscrivent le temps d’un instant, mis en lumière et surpris sous l’action impromptue d’un interrupteur. Lorsque l’ampoule se rallume, la danseuse a disparu ou la partie du corps découverte a été recouverte, rendant la perception de l’espace délicieusement insaisissable.

Switch de Séverine Lombardo
compagnie Les Sœurs Schmutt
Interprètes :
Annick Brault, Élodie Lombardo et Myriam Tremblay
Du 23 au 26 novembre 2006 à Tangente 

Crédits photos : Katia Gosselin

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