Depuis sa création en 2004, Umwelt de
Maguy Marin divise systématiquement les spectateurs à chaque représentation : tandis que certains saluent le chef d’œuvre, d’autres crient au scandale et s’indignent que ce n’est pas de
la danse… L’éternel débat autour de la définition de l’art (et, en
l’occurrence, celle de la « danse ») est relancé à travers cette
pièce contemporaine à la scénographie radicale et à la musique étourdissante,
où le mouvement chorégraphique s’organise telle l’altération d’un paysage.
Umwelt (2004) | Maguy Marin |
La partition
chorégraphique se compose d’un va-et-vient hypnotisant d’hommes et de femmes
qui apparaissent et disparaissent entre deux rangées de panneaux disposés en
quinconce et formant un long couloir en fond de scène. Pendant ce défilé, un
vent puissant souffle sur la scène, provoquant une incroyable bourrasque sur le
plateau, soulevant les robes et échevelant les interprètes. Tel le ressac des
vagues, les danseurs surgissent et s’évanouissent, tout en réalisant une série
de gestes aussi banals que croquer dans une pomme, enfiler un chandail, se
gratter la tête, transporter des
sacs poubelle ou se déculotter.
Ces innombrables gestes que l’on accomplit des milliers de fois dans nos vies
sont savamment orchestrés. Réalisés simultanément par deux personnes ou par six
dans une synchronie saisissante, ils donnent lieu à un véritable ballet
contemporain pour mouvements quotidiens.
Esthétique environnementale
Peu à
peu, des accidents altèrent le mouvement continu, mais aussi l’environnement
dans lequel ils surviennent. Certains danseurs chutent, d’autres s’empoignent,
et les conflits se multiplient. L’enchaînement des images opère d’ailleurs des
liens entre les séquences : des casques militaires suivant des carcasses
de viande établissent un parallèle inévitable entre la boucherie et la guerre.
La succession et la répétition des actions marquent la spirale infernale du
temps et le cycle des saisons : mettre une écharpe, tousser, enfiler des
lunettes de soleil, transporter un arbre… Mémoire du temps qui passe, des
détritus s’amoncellent progressivement sur le plateau. L’environnement
scénographique se dégrade tout comme les figures de pouvoir. Régulièrement, des
images surréalistes s’immiscent entre les scènes comme des îlots d’utopie ou
des issues possibles. Umwelt – qui signifie « environnement »
en allemand – résonne alors comme le manifeste écologique et poétique d’une
chorégraphe engagée, pour qui il devient urgent de réinventer le monde et la
danse.