Il était une fois un royaume parfait dirigé par le
ridicule prince Dulac. Tout y est « prospère et pur » : l’entrée
est payante, avec des tourniquets tout propres. Tout y est uniforme, lisse et
rectiligne. À l’image du Roi Soleil, le règne de Dulac transparaît à travers la
danse. Les chorégraphies sont ordonnées, orthonormées et symétriques à souhait.
L’harmonie des proportions est telle que tous les danseurs ont la même taille
et la mécanique de leurs pas ressemble plutôt à une marche militaire.
Afin de garantir l’homogénéité et la pureté de son
royaume, le prince Dulac vient de signer un avis d’expulsion concernant toutes
les créatures féeriques. Le palais est ainsi « nettoyé » de ses
lutins, chaperons rouges, méchants loups, sorcières, fées clochettes et autres
animaux parlants. Un vent de délation traverse tout le pays : contre dix
shillings, le vieux Gepetto se débarrasse de Pinocchio tandis qu’un fermier
vend ses trois petits cochons... Tous sont embarqués dans des convois et abandonnés
près d’un marécage où vit Shrek, un ogre ermite…
Entièrement réalisé par
des images de synthèse, ce dessin animé donne lieu à de minutieuses et
complexes chorégraphies des rictus. Les visages hyper mobiles sont garnis d’une
variété de moues impressionnante et d’une panoplie d’expressions amovibles.
Depuis la comédie musicale à la française singée par Robin des bois (incarné
par un Français à l’accent à couper au couteau et doublé dans la version originale par Vincent Cassel)
qui tente de reproduire un enchaînement de chorus line sur un air de bourrée
auvergnate (lignes, canons, combinaisons béjartiennes dans l’espace…).
Jusqu’aux scènes de combats, inspirées par les ballets de Bruce Lee, enrichies
du fameux arrêt sur image pendant un travelling panoramique de 360° (empruntée
à la technique de Matrix) et des cascades façon Yamakasi.
Bien
plus qu’un anti-dessin animé (où le prince Dulac est un nabot complexé, mesquin
et lâche, où la belle princesse rote et où l’ogre se torche avec les pages d’un
conte de fée), Shrek, le Gargantua du XXIe siècle, est un anti-ballet.
Véritable hymne aux danses populaires, il redonne (tel un Jérôme Bel dans The
Show must go on) ses lettres de noblesses à la macarena, interprétée avec
précision par les sept nains, et la danse hip hop devient une référence (les
trois petits cochons breakent comme des oufs). Signe de ralliement, ces danses de
liesse et danses de rues se dressent contre le pouvoir monarchique.
Anticonformistes, elles représentent un signe de liberté (sexuelle et
individuelle) à la fois fédérateur et dissident. Shrek(et
ses pas de deux insolites entre un Obélix et une Lara Croft) est ainsi un manifeste de la
chorégraphie disproportionnée, libre et improvisée, dictée par l’expression du
plaisir : l’éternel mythe dionysiaque bouleversant l’harmonie
apollinienne. Malgré un fond de morale américano-humaniste : « Les
apparences et les préférences ont trop d'importance, acceptons les
différences ».
Une énergie fulgurante se dégage des cinq filles qui
surgissent soudain alors que le plateau était encore désert et silencieux deux
secondes plus tôt. Elles se déplacent rapidement, traversent l’espace et
s’installent. Ce (dé)placement est réalisé tel un geste ordinaire de
« mise en route ». Les interprètes se mettent au travail. Et,
précisément, une fois placés, elles ne font rien…
Cet atelier du rien
est un tableau qui revient régulièrement rythmer les différentes séquences de travail
du spectacle. Car c’est justement en ce « rien » que consiste tout
l’exercice de la compagnie : observations cliniques, essais biologiques,
dissection et agrandissement du, autour de, sur le « gratuit », via
l’exploration du sème « désœuvrer » en opposition à la notion de
« produire » (notamment une œuvre chorégraphique).
Laboratoire du désœuvrement
Dans cette première
« œuvre », Petra Sabisch – la seule chorégraphe dont le CV
débute par une rencontre, en 1973, avec un Playmobil (Cf. sa "petite
chronologie des circonstances personnelles") –,
interroge donc la dichotomie travail/non-travail de manière quasi-scientifique
(schémas, définitions, graphiques et vecteurs à l’appui, projeté sur un
écran, tel un sous-titrage de la chorégraphie). Les interprètes portent
toutes un tee-shirt bleu ciel (couleur des beaux jours, de l’été, des vacances,
de l’oisiveté) et un pantalon gris (la grisaille, l’uniforme, le routinier, la
besogne).
Quant au Playmobil, il porte un casque de chantier, à la fois jouet
condamné à l’immobilité perpétuelle du corps ouvrier prêt à
« construire ». À eux six, ils tentent de discerner l’acte productif
de l’acte gratuit, comme le « travail » considérable effectué tout au
long de la représentation par une cafetière électrique comparé à l’action si
rudimentaire d’appuyer sur un bouton. Sur scène comme dans la rue, les
interprètes commettent ainsi une série d’actes résolument improductifs :
jouer à l’élastique, glander, penser ou trottiner, s’asseoir et ramper parmi
les passants pressés.
Telle une
biologiste munie d’un microscope polarisant, Petra Gabisch examine et morcelle
le mouvement jusqu’à l’épurer dans une forme minimale irréductible. Un danseur
immobilisé a toujours les paupières qui respirent et le pouls qui vibre. En
anesthésiant le reste, ce sont ces mouvements essentiels qui apparaissent
soudain et que la chorégraphe choisit de mettre en avant. À travers ce
laboratoire, elle analyse « l’acte », dans l’art comme dans la vie en
général.
Le tableau vivant de cinq filles qui ne font
rien semble prouver le contraire : en effet, il relève à la fois d’une
subtile composition scénique (comment occuper tout l’espace sans
bouger ?), d’un périlleux parti pris esthétique, d’au moins plusieurs
heures de réflexion et, surtout, d’un indéniable jeu d’interprétation, voire
même d’un entraînement physique ! En revanche, quoi de plus futile
que de jouer à l’élastique ? Pourtant, à travers cette
récréation-performance entrent en jeu des notions, non seulement, propres au
travail, mais aussi communes, notamment, à l’acte de danser, telles que :
la réitération de séquences gestuelles identiques, la prouesse du succès de
l’entreprise engagée et l’épuisement des actions effectuées. Et puis, arrive
toujours, fatalement, le moment où le niveau de l’élastique devient beaucoup
trop élevé pour réussir à sauter par-dessus : l’acte manqué ?
Le mouvement est
ainsi étudié à travers sa bipolarité fondatrice : d’un côté, le
relâchement extrême (et tout le paradoxe qu’induit le travail de désœuvrement
permettant cet état de corps particulier) et, de l’autre, une tension poussée à
son degré ultime. Ces deux qualités grahamiennes du mouvement (le fameux
"contract/release"), personnifiées par les deux accessoires clefs du spectacle
(le Playmobil et l’élastique), sont également mises à l’épreuve dans le corps
de l’interprète. Une séquence consiste d’ailleurs à reproduire le trajet fluide
et souple qu’opère l’élastique une fois lancé dans l’espace. A contrario,
lorsque les corps se mettent à danser de manière synchronique, le geste devient
aussi mécanique, froid et uniformisant que celui du Playmobil, raide et docile.
Ce ballet cauchemardesque dicté par les contraintes articulaires du jouet se
clôt sur une savoureuse expérimentation autour de la chute dudit
Playmobil : contrairement à l’élastique qui semble absorber
progressivement le sol, il tombe d’un bloc sans aucun amorti.
Enfin, Le laboratoire du désœuvrement invite à
partager un temps de relâchement, un temps non compté, un « hors »
temps, un temps pour soi. Une interprète ouvre la fenêtre pendant ces tableaux
de ressourcement. L’air frais s’engouffre alors dans la salle close et sur
scène. Outre l’odeur du café qui infuse les narines, ce contact vers
l’extérieur réintroduit sur scène, les bruits familiers du train, des oiseaux,
des passants, qu’on n’entend même plus au quotidien. Prendre CE temps et y
goûter. Un moment commun offert au public et aux interprètes. Un recueillement
régénérant, propice à l’introspection. À la fois une sensation de bien-être et
une angoisse surgissent de ce temps qui passe. Inexorablement.
Laboratoire du désœuvrement Compagnie
Petra Sabisch Conception,
réalisation : Petra Sabisch Interprètes : Kim-Lien Desault, Annick
Faucogney, Sandrine Jacquemont, Isabelle
Martinetti, Marion Michel Assistante
régie-plateau : Claire Lecaplain Du
19 au 28 juillet 2001 à 21h15 Festival
« Nous n’irons pas à Avignon » Gare
au Théâtre 13,
rue Pierre Sémard 94400
Vitry-sur-Seine
Récit
d’une aventure chorégraphique à travers la perception
VOYAGE n. m. – lat. viaticum1. Déplacement d’une
personne qui se rend en un lieu assez éloigné. 2. (1445) Course que fait
un porteur pour transporter qqn ou qqch. 3. (1966) FIG.
Etat provoqué par l’absorption d’hallucinogènes.
Bien plus qu’une simple représentation, la compagnie Ça
d’Hervé Diasnas propose un délicieuxvoyage à travers la perception.
FILn. m. – lat. filum
(…). Ne tenir qu’à un fil, à très peu de chose, être fragile, précaire.
– Fil d’Ariane (de la pelote de fil qu’Ariane remit à Thésée pour lui
permettre de ne pas s’égarer dans le Labyrinthe) ; fil
conducteur ; fil rouge :
ce qu’on peut suivre pour se diriger.
Avant
même de pénétrer dans la salle, une main surgit d’un rideau noir :
présentant deux anneaux de fil, elle attend que des index s’y introduisent. Les
spectateurs disparaissent alors deux par deux, accueillis en terrain inconnu
par les danseurs eux-mêmes. Dans la pénombre, les hôtes du lieu éclairent le
chemin grâce à des lanternes. Mi-anges, mi-officiant, ils portent de longues
blouses blanches et marchent à pas glissés. D’étranges lunettes, en forme de
petites passoires, dissimulent leurs yeux et semblent élargir leur champ de
vision, à la manière des multiples facettes de l’œil d’une mouche. Guidé par le
bout d’une ficelle, le voyageur, enveloppé dans une atmosphère sonore, déambule
entre de hautes statues sombres. Puis, il est doucement invité à s’asseoir sur
une estrade installée en plein milieu de la scène,le cœur du spectacle.
ŒIL,
plur. YEUX n. m. – lat. oculus1. Organe de la vue (globe
oculaire et ses annexes). 2. PAR EXT.
Regard. Chercher, suivre qqn des yeux. 3.coup d’œil. – PAR EXT.
Vue qu’on a d’un point sur un paysage. => point de
vue. 4. FIG. Attention portée
par le regard. « Une ville qui par sa situation attire l’œil du
voyageur » (Balzac).
Perturbé
dans son orientation, le spectateur devine les gradins de la salle qui lui font
face. Les règles sont inversées : la danse se déroule dans les tribunes
vides tandis que le public se blottit au centre du plateau et devient même
éclairagiste le temps d’un solo. Les interprètes dansent parfois si près que
l’observateur sent l’air qu’ils déplacent sur leur passage, le souffle de leur
respiration, l’odeur du coton qui les enveloppe, les remous du tissu permettant
d’apercevoir quelques mots inscrits sur les corps. À la fois très proche et vaste,
puis soudain lointaine et micro-détaillée, la danse frôle ou s'écarte du
public, se jouant de la perspective, oscillant entre le gros plan et le point
de fuite, passant de l’ensemble du corps à la segmentation. D’ailleurs, à
l’entrée, les « guides » ont muni chaque visiteur d’une paire de
petites jumelles de théâtre.
MAIN[më] n. f. – lat. manus ¤ Partie du corps située à l’extrémité du bras
et munie de cinq doigts. 1.La main, organe du tact. Toucher,
caresser. Mains qui tâtent, massent, palpent. 2.La main,
organe de la préhension. Prendre, tenir. 3.La main,
exécutant des gestes expressifs, symboliques. 4.La main, servant
à donner, à recevoir. Glisser un billet dans la main de qqn.
Au loin, perchée sur les cimes des gradins inoccupés,
débute une danse à six mains, hypnotique, à suivre à l’aide des jumelles. Les
doigts se métamorphosent, les poings dessinent l’espace, les paumes se
transforment, les phalanges se courbent et se crochètent pour évoquer des
formes, des étoiles, des bonhommes et des visages.
« Le concept de micro-chorégraphie
suppose, selon moi, une notion de point de vue au sens propre du terme. C’est
pourquoi, certains dispositifs sont mis en place afin d’"a-percevoir"
la danse au moyen d’optiques singulières, dévoilant celle-ci de manière
"extra-ordinaire" » (Hervé Diasnas)
LANGUEn. f. – lat. lingua1. Organe charnu, musculeux, allongé et
mobile, placé dans la bouche. La langue, organe du goût. Avoir la
langue bien pendue. Ne pas avoir la langue dans sa poche. Ne pas
savoir tenir sa langue. Avoir un mot sur le bout de la langue. Avoir
un cheveu sur la langue. Se mordre la langue. PROV.
Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler.
Puis, un solo magistral, d’une microscopie
magistrale, dansé derrière un miroir
grossissant, met en scène une langue. Cette chorégraphie linguale peut être observée à travers la paire
de jumelles. Les
lèvres s’ouvrent et se ferment comme des rideaux de scène, afin d’offrir un
numéro d’une virtuosité prodigieuse. Le palais devient l’espace d’un
micro-théâtre : roulée, pointée, plane, la langue se plie et se déplie, se
cabre, se cambre et se convulse, s’étire et grimace, danse avec un fluide
époustouflant ou marque des arrêts stroboscopiques d’une précision foudroyante.
TRANSPORTn. m. – lat. transportare, de portare « porter ». (I)
Fait de déplacer ou d’être déplacé => mouvement.
(II) FIG. Vive émotion,
sentiment passionné (qui émeut, entraîne) ; état de la personne qui
l’éprouve => élan, enthousiasme, exaltation,
ivresse.
Tout
au long de cette expérience sensible, le public est transporté. Au sens
figuré comme au sens propre, puisque les sièges glissent sous l’action des
danseurs, transformant ainsi constamment, entre proximité et éloignement, le
cadre de la salle. Tantôt alignés, tantôt en cercle, les corps des spectateurs
sont déplacés tandis que les regards se croisent, s’échangent et se décroisent.
Les volumes se dérobent : mouvants, ils s’élargissent, se rétrécissent et
s’évanouissent sous la stature impassible des sculptures immobiles. Les repères
spatiaux sont bousculés, tout comme le déroutant solo de cette danseuse dont
les cheveux recouvrent entièrement le visage. Impossible de discerner le dos de la face dans cet espace en
permanence redéfini.
À la fin du
périple, le spectateur est reconduit vers la sortie, toujours mené par un bout
de ficelle et quelques lanternes. Une retraite dans le noir. Pour tout
applaudissement, le silence de quelques pas feutrés et la discrétion du
recueillement. Dans le couloir, une petite enveloppe se glisse entre les
doigts. Au lieu des bravos de la foule en délire, les interprètes remercient
leur public avec la poursuite d’un songe et, en cadeau, la légèreté d’une
plume.
LEVITATIONn. f. – lat. levitas ”légèreté” 1.PARAPSYCHOL. Élévation d’objet pesant, spécialement le corps humain, par un procédé
psychokinétique. Lévitation d’un yogi en état de transe. 2. PHYS.
Soulèvement d’un corps en l’absence de liaison matérielle. Lévitation
magnétique.
Compagnie Hervé
Diasnas : Le Tabloïd des Anges Exposition chorégraphique pour six
danseurs et un plasticien Direction artistique : Hervé
Diasnas - Sculptures-installations : Christian Lapie Avec : Valérie Lamielle,
Laurence Langlois, Bruno Pradet, Christian Ben Aïm, Eric Fessenmeyer, Hervé
Diasnas, Juliette Trouillard Musique : création sonore d’Hervé
Diasnas et Thierry Rallet (régie son) Costume : Véronique Didier - Création
lumière : Julia Grand - Régie Lumière : Jean-Luc Mincheni
n 1925, Joséphine Baker
débarque à Paris avec la Revue Nègre au Théâtre des Champs Elysées. Son
irrésistible strabisme, son charleston endiablé et, un an plus tard, son
illustre ceinture de bananes, font fureur. Sa vie la mènera jusqu’en 1975 à
Bobino où, à 69 ans, elle irradie encore la foule en délire. Pour les 75 ans de
la Revue Nègre et les 25 ans de sa disparition, les
propriétaires du Château des Milandes, ancienne demeure
périgourdine de Joséphine Baker, présentent une nouvelle
exposition dans le lieu même où fut créé le mythique spectacle :
Joséphinemonteà Paris
Music Hall & paillettes
Ainsi, jusqu’au 28
février 2001, une visite au Théâtre des Champs-Elysées constitue un
délicieux pèlerinage. L’espace Drouot Montaigne est transformé en une
véritable caverne d’Ali Baba : photographies, dessins, peintures,
affiches, lithographies, gravures, lettres, autographes, partitions, ouvrages,
disques, films, mais aussi costumes de scène, robes de soirée, bijoux et effets
personnels ponctuent le parcours intrigant d’un destin exceptionnel.
Dès 1926, outre des
poupées dessinées à son effigie, la vedette commercialise sa propre gamme de
produits cosmétiques : l’huile solaire la « Baker-oil » ;
le « Bakerfix », une gomina en poudre « qui remplace les
lotions, sans adjonction d’eau », également disponible en pot et en
tube ; et enfin le « Bakerskin » qui remplace le bas de
soie. La mode « Joséphine » est lancée et, pas moins d’un an après
son arrivée en France, un cabaret parisien s’ouvre à son nom rue Fontaine.
En 1927, les premiers
mémoires de l’artiste, écrits par Marcel Sauvage et illustrés par Paul Colin,
sont publiés alors que « la créatrice du charleston et l’idole des
foules » triomphe, à 21 ans, dans la nouvelle revue des Folies
Bergères. Miss Baker entre dans la légende.
À partir de 1930, la
chanteuse vante les mérites de diverses marques publicitaires :
« J’ai deux amours… Mon auto cuiseur et mon perco thermos » ;
« Joséphine Baker est enregistrée chez Columbia et écoute ses disques sur
le radio-gramophone Columbia » ; « C’est à la lotion Garnier que
je dois la santé de mes cheveux ». Son visage illustre même un camembert
baptisé « Charleston » !
Connue et acclamée dans le monde entier,
le public parisien demeure fidèle à l’artiste qu’il a découverte au Théâtre des
Champs Elysées et consacrée aux Folies Bergères. Miss Baker le lui rend bien
avec un tube créé en 1931 au Casino de Paris pour le spectacle « Paris qui
remue » : « J’ai deux amours, mon pays et Paris ».
En 1934, elle joue, danse et chante La Créole d’Offenbach au Théâtre
Marigny et tourne « Zouzou » avec Jean Gabin. Pendant la seconde
guerre mondiale, elle illustre un comportement exemplaire à travers son
engagement dans la Résistance. En 1956, elle présente ses premiers adieux sur
la scène de l’Olympia… où elle revient en 1959 puis en 1968. Elle décède en
1975 lors de son grand retour à Bobino après 17 représentations triomphantes.
Une petite salle sur la
mezzanine permet de se recueillir. Son obscurité contraste avec le clinquant et
les lumières du reste de l’exposition. Ambiance tamisée…Les visiteurs
montent l’escalier un par un et découvrent dans la galerie des photos nues de
Joséphine, des clichés inédits signés Lipnitzki, prises en 1926 dans l’atelier
de Paul Colin.
Enfin, la petite
Joséphine élevée dans un ghetto noir de Saint-Louis est devenue déléguée de la
Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme et maman adoptive
universelle d’une tribu arc-en-cielde douze enfants d’origines
différentes. De plus, elle participa, le 28 août 1963, à la marche de
protestation contre la discrimination raciale et pour la reconnaissance de
l’égalité des droits civiques parmi les 200 000 personnes qui entourèrent
Martin Luther King ce jour-là.
Au-delà du divertissement et des strass,
Joséphine Baker, militante et engagée, a véhiculé un message d’espoir d’entente
entre les peuples et a livré, tout au long de sa vie et de sa carrière, une
farouche bataille contre le racisme. L’exposition se clôt sur l’hommage de
plusieurs mannequins, dont Naomi Campbell et Linda Evangelista, grimées pour
l’occasion à l’image de Joséphine Baker et photographiées par Peter Lindbergh.
Non seulement, la renommée de la reine du charleston est internationale mais en
plus elle demeure intacte avec le temps.
Jusqu’au 28 février 2001 : à l’Espace Drouot
Montaigne
Théâtre des
Champs Elysées 15,avenue Montaigne - 75008 Paris - M° Alma Marceau
Le Sacre du
printempsest
un ballet chorégraphié en 1913 par Vaslaw
Nijinski
sur
une musique composée par Igor Stravinsky. L’argument imaginé
par le compositeur est le suivant : pour célébrer l’arrivée du printemps,
un groupe de jeunes filles vierges exécute des danses sacrées. La cérémonie consiste
à désigner l’une d’elle en vue de la sacrifier et bénir ainsi la terre
nourricière. « L’Élue » débute alors une danse frénétique jusqu’à
mourir d’épuisement. Bien qu’on ne compte désormais plus les reprises de ce
spectacle par d’innombrables chorégraphes, l’œuvre la plus célèbre de Nijinski
rencontre pourtant à sa création l’hostilité du public et provoque un charivari
tel dans la salle du Théâtre des Champs-Élysées
que le ballet disparaît de l’affiche après seulement huit représentations.
À l’époque, le ballet
fait scandale. D’une part, la partition de Stravinsky opère un
bouleversement esthétique radical. Pour donner un caractère primitif à son
morceau, le compositeur assemble des éléments musicaux hétéroclites, ce qui
produit, sur le public de 1913, un effet acoustique
inhabituel : superposition d’harmonies, mélodies contrastées,
timbres bruts, rythmique irrégulière… D’autre part, la violence des pas de
danse réalisés offusque une grande partie de la salle. Nijinski impose aux
danseurs une chorégraphie qui rompt avec l’harmonie convenue de la danse
classique : les mains sont crochues, les corps tordus, les membres
dissociés, les articulations anguleuses, « Les positions,
traditionnellement en dehors, se tournent vers l’en dedans, les sauts s’aplatissent
pour renforcer l’atmosphère pesante et la difficulté à s’arracher à sa
condition (…) Les mouvements d’ensemble jouent sur des
asymétries » (Marie-Claude Pietragalla, La Légende de la danse,
Paris : Flammarion, 1999, chapitre « Nijinski ou l’avant-garde
maudite », p. 130).
La version du Sacre du Printemps de Nijinski (1913) reconstituée par Millicent Hodson en 1987 avec le Joffrey Ballet Solo de l'Élue interprété par Marie-Claude Pietragalla :
« Il est vrai
que l’essence même de la danse sert d’argument à la pièce, à savoir son origine
rituelle et parfois sacrificielle : cela peut expliquer l’attirance
naturelle des chorégraphes pour cette œuvre-clé,
au-delà de la rupture entre classicisme et modernité
qui la caractérise » (Fabienne Arvers, programme du vidéodanse du Centre
Georges Pompidou, janvier-février 2001, p. 23).
La multitude des
relectures et autres ré-appropriations du Sacre du printemps par tant de
chorégraphes atteste l’importance de cette œuvre magistrale. Presque 50 ans
après Nijinski, Maurice Béjart propose, en 1959, sa propre version.
Elle se caractérise par l’insertion d’un Élu masculin. Sa chorégraphie souligne
ainsi un affrontement des sexes : les hommes agressifs et puissants
s’opposent aux femmes craintives, « cette dualité à la fois antagoniste et
complémentaire trouvant l’équilibre idéal dans
l’union du couple » (Dictionnaire de la danse, Larousse, 1999, p. 632).
Le Sacre du printemps, revu et corrigé par Maurice Béjart en 1959
Duo final qui célèbre "l'union du couple" :
En 1975, dans la version de Pina Bausch, le sol est recouvert de tourbe. Les
hommes sont torses nus et en pantalons noirs, les femmes en combinaisons
blanches, la danse est convulsive, les
mouvements se répètent de manière obsessionnelle.
« De mains en mains circule nerveusement une étoffe rouge sang dont l’ultime détentrice sera l’Élue. (…)
Les corps en sueur sont de plus en plus maculé
[de terre], comme si s’inscrivaient sur chacun les stigmates
du supplice qui attend l’Élue
dont tout le groupe se fait complice »
(Dictionnaire de la danse, op. cit., p. 633).
Le Sacre du printemps, version Pina Bausch (1975) Solo final de l'Élue interprété par Malou Airaudo :
À
voir :
Les
Printemps du Sacre :
documentaire réalisé par Jacques Malaterre, avec des extraits des chorégraphies
de Vaslaw Nijinski, Léonide Massine, Mary Wigman, Martha Graham, Mats Ek,
Maurice Béjart et Pina Bausch (La Sept, 1993).
Créé en 1984, le Théâtre équestre
Zingaro porte le nom d’un magnifique cheval, un frison
noir, partenaire de Bartabas. Leur premier spectacle, intitulé Cabaret équestre, joué de 1984 à
1990, réunit sur la piste non seulement des chevaux et des hommes, mais
aussi un chameau, des oies et des oiseaux de proie. Avec Opéra équestre(1991), Bartabas
conjugue des numéros de voltige sur des chants berbères et géorgiens. Chimère (1994) se consacre à
l’univers indou du Rajasthan. Dans des parures, turbans et drapés aux couleurs
chaudes, chevaux et cavaliers se mêlent sur la piste, au gré des notes des
chanteurs et musiciens indiens qui les accompagnent. Le spectacle Éclipse, créé en 1997 avec
des danseurs, s’oriente vers l’Asie et joue sur les contrastes entre noir et
blanc, ombre et lumière, le tout au son de musiciens et chanteurs traditionnels
de Corée. L’illustre cheval Zingaro meurt durant la tournée internationale de
ce spectacle.
Triptyk en 2000 est un
hommage à cette disparition, cette absence. Le Sacre du printempset
La
Symphonie des Psaumesd’Igor Stravinsky, puis le Dialogue de l’ombre
doublede
Pierre Boulez illustrent le récit d’un sacrifice, d’une perte. Outre les
partitions musicales, le spectre du cheval fétiche s’inscrit à travers la
scénographie : des sculptures blanches évoquent des squelettes chevalins.
Ni accessoire, ni instrument, le cheval est sujet, muse, héros et cœur du
spectacle. Même disparu, il demeure, plus qu’un partenaire, un alter ego.
Pour
cette nouvelle création, Bartabas confronte ses chevaux à une partition
métronomique : l’œuvre musicale est écrite et enregistrée. Cette fois, les
musiciens ne sont plus sur scène pour se caler en fonction des retards ou
avances de l’animal. Ils ne « suivent » plus les mouvements du
cheval. Néanmoins, un troublant tableau présente justement quatre chevaux
albinos librement lâchés dans l’arène : sans selle, ni encolure, ils
improvisent paisiblement, folâtrent et se roulent dans la terre rougeâtre. La
séquence semble alors étrangement chorégraphiée alors qu'elle est pourtant (paradoxalement) vouée à l'improvisation.
Réactions à chaud à
la sortie du spectacle… Entrevues de spectateurs
Tous viennent pour la première fois au Théâtre
équestre d’Aubervilliers. Certains ont lu des articles dans Télérama, d'autres ont vu des extraits et
interviews à la télévision.
Qu’est-ce qui fut
inattendu pour vous ?
G : J’ai été surprise… mais je n’ai rien compris à l’histoire (si il y en avait une).
L’inattendu a plutôt été du côté des rituels [Dans
Triptyk, Bartabas met en scène des danseurs de kalaripayatt, un art martial du
Kerala, un état du sud-ouest de l’Inde. Jadis pratiqué par les soldats des
princes du Kerala, cette discipline physique et spirituelle demande dix années
de travail et n’est pas destiné au spectacle, elle recouvre un état d’esprit].
J : Ce
spectacle allait au-delà de l’idée vague que je m’en faisais. Il ne s’agissait pas de montrer des chevaux bien
dressés, des cavaliers émérites et acrobates mais de les intégrer dans un
propos où l’homme et le cheval se répondaient l’un l’autre, à égalité.
L : je ne
m’attendais pas à voir un tableau sans cheval.
Que retiendrez-vous
de ce spectacle ?
J : Le récit chorégraphique
d'une histoire d'amour entre l'homme et le cheval. Leur communion par la danse
et la musique. Le Sacre du printemps ressenti comme un rituel païen et
primitif où danseurs et chevaux se cherchent, s’affrontent avec sauvagerie
avant de trouver leur harmonie et leur épanouissement dans l'acte de vie.
Ballet vivant et spectaculaire. Le Dialogue de l’ombre, où l’homme
semble pleurer son ami cheval, représenté par des carcasses blanches, seul
véritable décor du spectacle. Plastiquement beau mais un
peu long. En plus, la musique de Boulez, faut aimer et… je n'y suis pas sensible. La Symphonie des Psaumes où le rapport
homme-cheval semble prendre une dimension métaphysique voire mystique. Pour
Bartabas, le cheval serait-il devenu l’avenir de l’homme ? Ou par lui, le
salut ? Faute de tout comprendre, on peut s'interroger… En tout cas,
certainement la pièce (et la musique) la plus émouvante du spectacle.
Crédit photo : Antoine Poupel
Quelle(s) scène(s)
vous a marqués ?
L : Les
pyramides humaines qui se transforment sans cesse sur le dos des chevaux qui,
eux, continuent de tourner, puissants et solides.
G : La scène où
les femmes mettent une carotte dans leur bouche avant de la mettre dans les
gueules de leurs chevaux tout blanc…
J : Tout
d’abord, le ballet des chevaux blancs, notamment le moment où, spontanément,
ils s'allongent sur le sol pour être enlacés par les danseurs. Et l'apparition à la
fin du spectacle de Bartabas, vêtu d'une robe noire, seul, sur son cheval esquissant
sur place, des pas de danse dans un silence quasi religieux avec pour seul
accompagnement, le bruit des sabots. Magique.
Crédit Photo : Antoine Poupel
Connaissiez-vous
Le Sacre du printemps de
Stravinsky auparavant ? En aviez-vous déjà vu une version en
spectacle ? Si oui, laquelle et que vous en reste-t-il ?
J : Pour
moi, Le Sacre, c'était la version Deutsche Grammophon de 1977 dirigée par
Karajan. Très intériorisée et pourtant d'une grande force dynamique, bref
exceptionnelle ! Celle de Pierre Boulez me semble plus analytique, d'une
plus grande rigueur, moins romantique aussi; néanmoins, classe !
E : Je me
souviens de la version du Sacre de Nijinski à l’Opéra de Paris. Le rôle
de l’élue était interprétée par Marie-Claude Pietragalla. À la fin, elle
exécute une série de sauts extrêmement épuisante, c’est la scène du sacrifice.
J’ai vu également des extraits vidéos de la version de Maurice Béjart. Ça m’a
paru un peu ringard, un peu dépassé. Pourtant il paraît qu’à l’époque, il
produisit une sacrée révolution ! C’était 1968 je crois, une grande époque !
En fait, contrairement à la version de Nijinski, c’est un élu qui est désigné à
la fin. Et la
scène du sacrifice devient un mariage chez Béjart.
Je me souviens aussi du Sacre de Pina Bausch : alors là, ce fut un choc
émotionnel très fort. J’ai lu depuis la biographie d’une des interprètes :
cette pièce est devenue en quelque sorte l’initiation, le passage obligé, à
passer pour chaque nouvel interprète. Je me souviens que l’élue répète jusqu’à
l’épuisement une espèce de mouvement de bras qui s’enfonce dans le ventre,
comme si la danseuse se donnait des coups de couteau dans les entrailles. Là
aussi c’est la scène du sacrifice. C’est assez violent, la danseuse transpire
et suinte, sa robe semble tomber en lambeaux.
Extrait du spectacle Tryptik du Théâtre équestre Zingaro de Bartabas
Sur la musique du Sacre du printemps de Stravinsky, orchestre dirigé par Pierre Boulez :
Toutes
vos remarques personnelles sont les bienvenues.
J : Enfin, je vais répondre à la question que vous
ne m'avez pas posée : « Que pensez-vous de Bartabas ? »
Dorénavant, je le considère comme le Béjart du théâtre équestre !
Triptyk Jusqu’au
25 février 2001 au Théâtre équestre Zingaro
Le
spectacle tournera à Moscou, Barcelone, Montréal, Toronto et New York
Puis
reprise du 16 novembre 2001 au 31 décembre 2001 à Aubervilliers
176,
avenue Jean Jaurès 93300 Aubervilliers
M°
Fort d’Aubervilliers - Accès voiture : Porte de la Villette
Restauration
possible sur place à partir de 19h Durée du spectacle : 1h45 sans entracte
La ballade de Zingaro, Françoise Gründ,
éditeur Chêne, 2000, 184 p., photos couleur.
Zingaro le cheval, Homeric, Tana
Editions, 28 p., photos couleur.
Triptyk, livre programme du
spectacle, textes de Françoise Gründ et André Velter, photographies d’Antoine
Poupel, édité par Zingaro, mars 2000, en vente sur place ou par
correspondance.
Zingaro, la saga des
centaures,
Anne-Marie Paquotte, hors série Télérama, 81 p.
Zingaro, suite
équestre,
André Velter, dessins d’Ernest Pignon-Ernest, Paris : Gallimard, 1998,
coll. Folio n°3385, 142 p., illustrations en noir et blanc.
Films : Les vidéos des
spectacles sont en vente sur place ou par internet.
À voir :
L’exposition Nijinsky
(1889-1950) :
le Musée d’Orsay célèbre le cinquantième anniversaire de la disparition de
Nijinsky, jusqu’au 18 février 2001.