La lumière envahit la scène et
découvre trois silhouettes qui se détachent, de profil, sur un plateau nu. Trois
femmes sont immobiles, debout. Doucement leurs visages tournent vers les
spectateurs. Le public a pénétré dans l’intimité d’une alcôve exclusivement
féminine. Nous sommes venus pour les voir et elles nous regardent. Fixement.
Sans agressivité. Simplement. Calmement. Comme si c’était normal. Sans aucune
espèce de familiarité, ni de provocation, pas même un jeu de séduction. Elles
ne sont pas dans un rapport frontal, il n’y a pas de conflit. Plutôt de la
distance.
Nacéra Belaza, “ Chère
payée ”, Les Cahiers de L’étoile,
n°6, décembre 1999, p. 3.
Deux
d’entre elles chutent, tombent, s’évanouissent dans l’espace. Mais Nacéra
Belaza demeure debout. Elle continue de regarder le public. Impassible, elle
reste de marbre. Cette sérénité nous glace, nous pétrifie. Puis,
tranquillement, elle entame le mouvement. Sa chorégraphie est infiniment
précise, posée, pieuse. Sur un chant arabe, les trois danseuses esquissent des
gestes, comme des signes de croix à peine imprimés, qui effleurent à peine la
peau. Nacéra Belaza choisit de suspendre le temps de la chorégraphie plutôt que
de caler sa danse sur cette partition enivrante. Au lieu de s’engouffrer dans
le rythme oriental de la musique, la chorégraphe prend le temps d’inscrire le
moindre de ses mouvements, étire le moindre de ses silences. Des pauses qui
s’éternisent. Nacéra Belaza ouvre les bras. Ils s’écartent sans force. Les
paumes de mains légèrement tournées vers le sol, les coudes à peine fléchis,
les doigts pendants. La tête inclinée. Aucun muscle n’est tendu. Une femme
algérienne dans la position du Christ.
“Aujourd’hui l’homme est encore trop faible pour supporter sa faiblesse, il doit devenir fort pour s’accepter vulnérable”. (…) J’ai cédé, j’ai lâché prise, je n’ai rien cherché, je me suis juste prostrée dans cet état de non-attente qui fait que les choses finalement arrivent entières, elles émergent intactes.
Théâtre de la Cité Internationale © Antonin Pons Braley |
“Aujourd’hui l’homme est encore trop faible pour supporter sa faiblesse, il doit devenir fort pour s’accepter vulnérable”. (…) J’ai cédé, j’ai lâché prise, je n’ai rien cherché, je me suis juste prostrée dans cet état de non-attente qui fait que les choses finalement arrivent entières, elles émergent intactes.
Nacéra Belaza, “ Texte
autobiographique (suite) ”, dossier de la compagnie Jazz-Ame, 1997.
Pour moi, la chorégraphie n’est surtout pas un assemblage d’éléments disparates constituant un discours, mais un élan vif qui happe sur sa trajectoire les balises dérisoires de l’intellectuel.
La danse de Nacéra Belaza est
empreinte de modération. Cette qualité de geste rend la chorégraphie
particulièrement troublante. Tout est dans la retenue. Cette résistance à la
démonstration et à la force musculaire souligne la maturité de la chorégraphe.
Pour moi, la chorégraphie n’est surtout pas un assemblage d’éléments disparates constituant un discours, mais un élan vif qui happe sur sa trajectoire les balises dérisoires de l’intellectuel.
Nacéra Belaza, “ Texte
autobiographique… ”, notes au programme de la pièce Périr pour de bon, Salle Diderot à Reims, juin 1995.
En émergeant à travers cette pleine confiance, la danse développe ses propres règles, ses propres lois, et inaugure ainsi une intelligibilité qui lui est propre, et que l’esprit n’a jusqu’ici admis que difficilement.
Théâtre de la Cité Internationale © Antonin Pons Braley |
Découpée tel un montage
cinématographique, la chorégraphie réitère certaines séquences. Comme une
phrase leitmotiv dans un poème. Comme un refrain. Mais aussi comme une
obsession. Nacéra Belaza détourne à nouveau son visage vers le public. Elle
incline à nouveau sa tête vers le sol et écarte doucement les bras. De nouveau
elle arche le buste et laisse tomber sa tête en arrière, les mains détendues
sur ses cuisses, ses cheveux pendants dans le vide. Tous ces mouvements se
répètent comme si rien dans la danse ne modifiait l’état de l’interprète. Ou plutôt
comme si la danse permettait cette constance de calme et d’épanouissement. Un
moment de volupté se prolonge.
En émergeant à travers cette pleine confiance, la danse développe ses propres règles, ses propres lois, et inaugure ainsi une intelligibilité qui lui est propre, et que l’esprit n’a jusqu’ici admis que difficilement.
Nacéra Belaza, “ Texte
autobiographique (suite) ”, op. cit.
Point de fuite (trio 20’)
Compagnie Jazzame
Chorégraphie : Nacéra Belaza
Interprètes : Nacéra Belaza, Dalila Belaza, Angélique Torres
Musique : Ebed Azrie
Création lumière : Frédéric Boileau
Création costumes : Carole Cheneval
Du 17 au 21 janvier 2000, Studio du CND, Maison des compagnies et des spectacles
Vendredi 28 janvier 2000, “ Voyage chorégraphique 2000 ”, Théâtre Paul Eluard de Bezons
http://cie-nacerabelaza.com
Point de fuite (trio 20’)
Compagnie Jazzame
Chorégraphie : Nacéra Belaza
Interprètes : Nacéra Belaza, Dalila Belaza, Angélique Torres
Musique : Ebed Azrie
Création lumière : Frédéric Boileau
Création costumes : Carole Cheneval
Du 17 au 21 janvier 2000, Studio du CND, Maison des compagnies et des spectacles
Vendredi 28 janvier 2000, “ Voyage chorégraphique 2000 ”, Théâtre Paul Eluard de Bezons
http://cie-nacerabelaza.com