mercredi 25 juillet 2007

Être ensemble

S’évader du lieu théâtral,
embarquer le public hors des sentiers battus
et partager avec lui une « expérience »...


Aqui enquanto caminhamos
[ici, tout en cheminant]
Photo : José  Luiz Neves
Dans le cadre de la programmation de Paris Quartier d’été, le chorégraphe brésilien Gustavo Ciriaco et sa collègue autrichienne Andrea Sonnberger proposaient à cet effet une intrigante promenade chorégraphique. La performance s’engage hors de l’espace théâtral traditionnel. Les spectateurs sont ainsi invités à un parcours dans la ville, encerclés pour l’occasion par un ruban élastique.

Unis par les liens sacrés du spectacle...
Même s’ils ne se connaissent pas, les spectateurs sont unis pendant une heure par les liens sacrés du spectacle pour lequel ils se sont tous déplacés. Les chorégraphes proposent de garder le silence durant la balade afin de favoriser l’écoute et l’attention de chaque participant. En effet, il ne s’agit pas seulement de regarder, mais également d’écouter et de sentir. Silencieusement, les spectateurs déambulent donc dans la ville.

Qui regarde qui ?
Au début, chacun examine attentivement le paysage, cherchant un indice ou quelque chose à voir. L’espace de représentation n’étant pas formellement démarqué par une scène, tout peut alors être regardé et devenir objet de spectacle : l’architecture, la rue, les commerçants, les passants… Mais, progressivement, le regard change. Le groupe encerclé qui venait assister à une performance devient à son tour un objet de curiosité, voire même un sujet d’attraction. Sur son passage, les passants s’étonnent ou se moquent : s’agit-il d’une manifestation contestataire, d’une secte d’illuminés, d’un groupe de touristes qui visite Paris dans un cordon de sécurité ou encore d’une sortie d’aliénés ? Finalement, qui regarde qui ?

Safari urbain...
Aqui enquanto caminhamos
[ici, tout en cheminant]
Photo : José  Luiz Neves
Bien plus qu’un « spectacle » ou qu’un safari dans la jungle parisienne, il s’agit avant tout d’une expérience collective qui se déroule également à l’intérieur du cercle, à travers les relations qui s’établissent au sein même du public entre celui qui résiste et qui s’indigne à voix haute, ceux qui s’amusent, ceux qui sont gênés et ceux qui suivent docilement. Certains jouent le jeu et prennent des initiatives, d’autres se confortent à suivre le pas. Cette balade chorégraphique interroge avant tout la place du spectateur. Comment le spectateur use-t-il de l’espace de liberté qui lui est confié ? Quel espace de liberté lui est réellement offert ? Jusqu’où peut-il aller sans pour autant contrarier la performance ?

Malgré le désir des artistes et les aspirations du spectateur, il s’avère difficile de briser les habitudes du public. Même en dehors de l’espace scénique traditionnel, les conventions théâtrales perdurent, comme des repères culturels à travers lesquels le public se situe et se rassure. Bien plus qu’un objet à regarder, le spectacle vivant devient avant tout, dans ce contexte, une expérience à vivre et à partager.



[1] Cette « balade » a également eu lieu à Lisbonne, Londres, Liverpool, Munich, Madrid, Rio, Lyon, Marseille et Montréal.

vendredi 20 juillet 2007

Des corps dans l'espace urbain

Photo : Bodies in Urban Spaces
de Willi Dorner et Lisa Rastl ©
Lisa Rastl
De nombreux lieux de diffusion proposent désormais, au sein de leur programmation, des interventions ou performances dans l’espace public, hors de leur scène. C’est notamment le cas en France pour le Festival Paris Quartier d’été qui offre une série de propositions artistiques dans des parcs et dans d’autres lieux. Outre un choix de spectacles, le public a également l’occasion d’expérimenter plusieurs promenades chorégraphiques.


Willi Dorner : Bodies in Urban Spaces
Intitulé Bodies in Urban Spaces, un projet chorégraphique in situ conçu par l’artiste autrichien Willi Dorner et sa complice Lisa Rastl, convie le spectateur à sillonner la ville suivant un parcours déterminé par une série de corps empilés. Pour cette performance, une vingtaine de danseurs se relaient afin de baliser le chemin par le biais d’une série de tableaux statiques. Pour chaque tableau, les visages sont détournés ou cachés par une partie du corps, créant ainsi une impression d’anonymat.

Cette initiative rappelle les investigations des danseurs postmodernes américains tels que Trisha Brown qui investissaient dans les années 1970 la rue, les façades et les toits des buildings new-yorkais afin de sortir la danse du lieu théâtral où elle était traditionnellement confinée. À cette époque, ces initiatives participaient avant tout d’un engagement politique et social fortement marqué par le mouvement contestataire de l’époque. Désormais ces infiltrations dans l'espace public suscitent davantage des espaces poétiques soulignant l'architecture de nos villes.


Déambuler dans la ville...
Ce projet engage le mouvement du spectateur : celui-ci doit marcher pour voir, il doit se déplacer pour connaître le déroulement. Le public s’amasse devant des corps entassés contre un mur, sous un banc ou à une intersection. Si quarante personnes se retrouvent au point de rendez-vous qui marque le début de la balade, le volume de la foule augmente progressivement à chaque station, attirant par son impact curieux, touristes et passants, formant par leur nombre un amas de corps dans l’espace urbain bien plus impressionnant que celui des performeurs, et participant ainsi malgré eux au concept même du projet contenu dans son titre en s’ajoutant au nombre de « corps dans l’espace urbain ».

Site internet : http://www.ciewdorner.at

samedi 30 juin 2007

Brèches chorégraphiques

Depuis sa création en 2004, Umwelt de Maguy Marin divise systématiquement les spectateurs à chaque représentation : tandis que certains saluent le chef d’œuvre, d’autres crient au scandale et s’indignent que ce n’est pas de la danse… L’éternel débat autour de la définition de l’art (et, en l’occurrence, celle de la « danse ») est relancé à travers cette pièce contemporaine à la scénographie radicale et à la musique étourdissante, où le mouvement chorégraphique s’organise telle l’altération d’un paysage.

Umwelt (2004) | Maguy Marin

La partition chorégraphique se compose d’un va-et-vient hypnotisant d’hommes et de femmes qui apparaissent et disparaissent entre deux rangées de panneaux disposés en quinconce et formant un long couloir en fond de scène. Pendant ce défilé, un vent puissant souffle sur la scène, provoquant une incroyable bourrasque sur le plateau, soulevant les robes et échevelant les interprètes. Tel le ressac des vagues, les danseurs surgissent et s’évanouissent, tout en réalisant une série de gestes aussi banals que croquer dans une pomme, enfiler un chandail, se gratter la tête, transporter des sacs poubelle ou se déculotter. Ces innombrables gestes que l’on accomplit des milliers de fois dans nos vies sont savamment orchestrés. Réalisés simultanément par deux personnes ou par six dans une synchronie saisissante, ils donnent lieu à un véritable ballet contemporain pour mouvements quotidiens.


Esthétique environnementale
Peu à peu, des accidents altèrent le mouvement continu, mais aussi l’environnement dans lequel ils surviennent. Certains danseurs chutent, d’autres s’empoignent, et les conflits se multiplient. L’enchaînement des images opère d’ailleurs des liens entre les séquences : des casques militaires suivant des carcasses de viande établissent un parallèle inévitable entre la boucherie et la guerre. La succession et la répétition des actions marquent la spirale infernale du temps et le cycle des saisons : mettre une écharpe, tousser, enfiler des lunettes de soleil, transporter un arbre… Mémoire du temps qui passe, des détritus s’amoncellent progressivement sur le plateau. L’environnement scénographique se dégrade tout comme les figures de pouvoir. Régulièrement, des images surréalistes s’immiscent entre les scènes comme des îlots d’utopie ou des issues possibles. Umwelt – qui signifie « environnement » en allemand – résonne alors comme le manifeste écologique et poétique d’une chorégraphe engagée, pour qui il devient urgent de réinventer le monde et la danse.


lundi 25 juin 2007

Chorégraphie anthropophage

Le spectacle Incarnat créé en 2005 par la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues présente une série de tableaux performatifs composés à partir de peintures de corps. Comme dans ses précédentes pièces, le corps y constitue la matière première de la danse : il s’étire, se déforme, se plisse, se contracte tel un matériau souple, sujet à métamorphose. La chorégraphe utilise également des liquides (sauce tomate et crème) pour transfigurer les corps nus de ses interprètes. Les danseurs s’enduisent ainsi tour à tour de ketchup, créant des séquences grand-guignolesques, à la fois sanglantes et burlesques. Inspirées par un livre de Susan Sontag intitulé Devant la douleur des autres, des scènes d’agonie et de torture sont stylisées sur le plateau pour se transformer en objets esthétiques dignes des martyres de Caravage. Les hurlements des danseurs semblent alors faire écho au cri de Munch, tandis que les corps d’hommes nus aux muscles tendus rappellent les tableaux et sculptures baroques.

Lia Rodrigues : Incarnat (2005) | La Ferme du Buisson
Dans cette pièce, le vocabulaire académique du ballet classique côtoie la gestuelle brute et sans compromis de la performance, provoquant un contraste et un décalage brutal entre des registres de mouvements radicalement différents. Parallèlement aux piqués, retirés, arabesques, grands jetés et autres pirouettes, les corps gémissent, grognent, reniflent, éructent et rugissent, jusqu’à emprunter les chemins de la transe et de la folie. Les danseurs se transforment en bêtes sauvages ou loups-garous, se disputant les viscères d’une femme dont les habits imbibés de ketchup sont arrachés à pleines dents, comme s’ils dévoraient ses entrailles. Au milieu des flaques de sang et des corps épars gisant sur le plateau tels des cadavres, la danse sautillante et légère de Micheline Torrès incarne la figure de l’enfance ou le pouvoir fulgurant de l’imaginaire, capable de fuir – ou de transcender – la réalité.



«Cette pièce est née des questions que nous nous sommes posées : Que ressent-on devant la douleur des autres? Quels rapports compose-t-on avec l'autre? Comment interroge-t-on ces choses et que nous répondent-elles? Qu'est-ce qui compte vraiment de nos jours? Qu'est-ce qui nous fait réagir? Qu'y a-t-il de plus terrible : 200 000 morts dans un tremblement de terre? 50 000 morts dans un attentat terroriste? 2 personnes enlevées et égorgées devant les télévisions? 5 morts non déclarés, à cause d'un conflit dans un tout petit pays? 1 condamné à mort dans une prison? La mort de son père, sa mère, sa fille? Comment le mesurer, derrière tant de nombres et de statistiques qui déferlent chaque soir? Toujours des nombres. Encore des statistiques. Est-ce encore possible de se rapprocher de l'autre si différent de soi-même? Quelqu'un qui est fait de la même matière que soi? Comment casser les barrières et recréer un territoire commun? Travailler en groupe, créer des communautés, danser, serait peut-être une forme de résistance?»

Lia Rodrigues

La danse de Lia Rodrigues repose sur l’ambivalence des images et des situations. Entre mémoire collective et expériences singulières, la douleur ne résonne pas uniquement comme une source de souffrance, mais également comme un lien communautaire et parfois même comme le nerf de la vie. Enfermé dans un sac plastique, un corps se débat frénétiquement, illustrant paradoxalement la mort et la naissance, le crime et l’enfantement. Polysémiques, les scènes oscillent ainsi constamment entre cruauté et mysticisme, entre le deuil et la délivrance, parce que l’un ne va peut-être pas sans l’autre. La représentation de l’horreur est d’ailleurs désamorcée par l’humour caustique de la chorégraphe, qui n’hésite pas à rendre visibles les berlingots de sauce tomate utilisés pour simuler le sang. Plutôt que de sombrer dans le pathos, Lia Rodrigues dresse l’état d’un monde et d’une danse qui, sous le poids de ses traditions, la perte de ses illusions et le vertige de ses images, se fissurent pour donner corps à de nouveaux imaginaires. Incarnat agit ainsi comme une morsure à même la chair, la danse et le spectateur.

Autres extraits vidéos sur numeridanse.tv

lundi 26 mars 2007

Marathon chorégraphique


Solo nomade

Paul-André Fortier à Nancy - Photo : Samuel Bianchini
Au Québec, le chorégraphe Paul-André Fortier a présenté un solo nomade intitulé 30x30. Ce projet consiste à danser une chorégraphie de 30 minutes tous les jours à la même heure et au même endroit pendant 30 jours quelque soit la météo. Le danseur presque sexagénaire a ainsi réalisé un véritable marathon chorégraphique en présentant son Solo 30x30 dans plusieurs villes à travers le monde : en France, en Angleterre, au Japon, mais aussi à Ottawa et à Montréal. Seul, au coin d’une rue ou sur un pont, lieux de passage par excellence, le danseur avait rendez-vous chaque jour à la même heure pour danser pendant trente minutes. Dans chaque ville, ce rituel se joue sur une durée de trente jours, insérant la danse dans le quotidien même du lieu.

Décor mouvant
La chorégraphie ne varie pas et reste la même quoiqu’il arrive accueillant les imprévus et aléas du site. La ville et la rue deviennent alors le « décor » de l’action chorégraphique transposée dehors. Le spectateur est libre de s’arrêter ou non et de choisir son point de vue. Une suite de mouvements chorégraphiés avec des lignes, des accents, un phrasé et des déplacements s’inscrivent de manière abstraite dans le décor du quotidien ; quasi imperméable à son environnement, le danseur continue imperturbablement sa danse. Les conditions de la rue modifient le tableau, la danse s’inscrit ainsi dans un décor mouvant (en fonction des bruits de la rue, des conditions météorologiques et de la présence du public, la scénographie et l’éclairage naturels du lieu varient chaque jour). 

Photo : Denis Lavoie
Espace poétique 
La démarche de Fortier propose une redéfinition de l’espace urbain, insérant un espace poétique au sein même de lieux publics souvent délaissés. Cette initiative transfigure à ce titre un lieu de passage au cœur de l’activité urbaine en un espace de partage. Introduire de l’inattendu dans la routine offre aux passants un autre regard sur la ville. Les passants font d'ailleurs partie intégrante du spectacle. Surpris, amusés ou fascinés, ils suspendent leur activité pour goûter à une rencontre impromptue offerte sans fard et sans piédestal. Il s’agit alors pour l’artiste, d’atteindre le public au cœur même de son quotidien.

"Un homme qui danse dans la ville" 
Paul-André Fortier traverse l’espace et se fond dans l’environnement, les sons et la lumière qui l’entourent. Dans un décor urbain se détache la silhouette du danseur comme l’ombre d’un homme qui danse dans la ville.
Paul-André Fortier à Newcastle
Photos tirées du blog : http://fortierdanse.blogspot.ca

mercredi 28 février 2007

L’émergence d’un corps insolite

Dans "I" Is Memory, la danseuse Louise Lecavalier, égérie de la compagnie La La La Human Steps et muse d’Édouard Lock pendant près de vingt ans, est littéralement métamorphosée à travers un travail axé sur la lenteur et la déformation du corps. Non seulement son visage dissimulé sous une capuche est à l’opposé de la surexposition de cette véritable icône de la danse contemporaine des années 1990, mais surtout la performance effectuée dans ce solo va à l’encontre d’un modèle de corps dansant idéal, athlétique et glorieux, tout à fait représentatif de sa carrière auprès d’Édouard Lock. L’image de cette danseuse fétiche reconnue pour sa vélocité et son extrême virtuosité – notamment celle de ses illustres vrilles horizontales – est complètement défigurée à travers une chorégraphie fondée sur des notions contraires, telles que le minimalisme et le ralenti.

Louise Lecavalier | Crédit photo : Angelo Barsetti


La danseuse apparaît ainsi dans un travail spécifique à Benoît Lachambre, influencé notamment par la pratique du release, l’improvisation et les approches somatiques du mouvement. Aux antipodes du spectaculaire, cette recherche chorégraphique est centrée sur un état de corps qui se fissure, qui se disloque et qui se distord progressivement. L’identité vacille, l’image s’effondre au profit d’un corps anonyme et polymorphe, quasi-mutant.

Plutôt que de sublimer la figure d’une danseuse magnifiée, on assiste au contraire à sa dissimulation, à sa disparition, à son effacement, au surgissement d’une créature étrange et fragile, d’une figure spectrale, ni homme, ni femme, ou encore mi-humain, mi-animal, un être sans visage et aux articulations disloquées, dont la force de transformation est d’autant plus hallucinante qu’elle repose sur l’imaginaire du spectateur.

Ses vêtements souples et larges déforment sa silhouette. Sous l’effet du ralenti, ses bras semblent s’allonger indéfiniment, de même que ses souliers enfilés de travers accentuent l’effet d’une torsion effrayante au niveau des jambes. Minimale, la danse joue sur d’infimes micro-changements. De ce corps en perpétuelle métamorphose surgit de multiples identités : corps engourdi, handicapé ou meurtri aux mouvements entravés, corps relâché et avachi, parfois recroquevillé, corps disloqué aux membres désarticulés, corps éphémère et fantomatique qui semble glisser sur le sol grâce à un minutieux travail sur les appuis et transferts du poids.

Louise Lecavalier dans I is Memory | Benoît Lachambre | Crédit photo : Carl Lessard
Son costume, un survêtement sportif, évoque non seulement la danse, mais aussi le thème l’urbanité : un habit à la fois anonyme et commun, qui renvoie également à une image de précarité et d’itinérance. Toutes ces images cauchemardesques d’un corps morcelé, voire démembré, tournent autour de la faille et de la fragilité, plutôt que de présenter une démonstration de force et de prouesses musculaires auxquelles Louise Lecavalier nous avait pourtant habitués lorsqu’elle dansait le répertoire de La La La Human Steps. Une barre classique s’impose d’ailleurs pour tout élément de décor en fond de scène, en contrepoint d’une qualité de mouvement relâché et d’un corps désarticulé et déformé sous la torsion, comme rompu à la danse.

Louise Lecavalier dans I is Memory de Benoît Lachambre | Photo : Carl Lessard
La lenteur des mouvements accompagnée des nappes musicales de Laurent Maslé confèrent au solo une atmosphère hypnotique. Même cagoulée, cette figure emblématique de la danse contemporaine capte l’attention du public. Le moindre mouvement de ses doigts, la moindre contraction est aussitôt perçue par le public. L’envoûtante présence de la danseuse émane bien au-delà de son regard (absent) et de son visage (caché) pour envelopper le spectateur dans la sensation kinesthésique de micromouvements à peine visibles et pourtant éminemment perceptibles.

D’après Louise Lecavalier, « le mouvement jaillit d’une explosion intérieure qui irradie partout dans le corps, se propage dans ses os, dans ses muscles, ses organes et ses articulations »[1]. En effet, ses mouvements, viscéralement engagés dans une étrange série d’anamorphoses organiques, suscitent l’illusion et troublent la perception.


[1] Louise Lecavalier, programme de soirée, à propos de "I" Is Memory, Montréal, Danse Danse, février 2007.

samedi 20 janvier 2007

Effacer les frontières scène/salle

Dans les salles, les gradins disparaissent. Le public est invité à s’installer sur scène et à partager l’espace traditionnellement réservé aux danseurs. La frontière scène/salle se dissout. L’action et le regard partagent alors un espace commun.

C’est le cas dans les « pièces distinguées » de La Ribot où la danseuse arpente la scène au beau milieu des spectateurs qui la suivent ou l’entourent. La chorégraphe espagnole a ainsi créé entre 1993 et 2003 plusieurs séries de performances présentées en solo sous forme de tableaux : Piezas distinguidas (1993-1994), Mas distinguidas (1997), Still Distinguished (2000) et Panoramix (2003) – ce dernier opus propose une compilation des trois séries précédentes. Éclairé par la même lumière, le public n’est plus assigné au côté obscur de la salle ; il fait ainsi partie intégrante du champ spectaculaire. Ce rapport de proximité direct offre une perception plus "tactile" de la danse. Le danseur évolue dans le même espace que les spectateurs : il les frôle, tombe à leurs pieds, maintient un équilibre tout près d’eux, se faufile entre eux comme pour se fondre, ou se dissimuler, dans la foule anonyme du public.
La Ribot - Tate Gallery, Londres, 2003 - Crédit : Manuel Vason
Pour Hooman Sharifi, chorégraphe norvégien d'origine iranienne, et son "Impure Company", l’art a tout à voir avec la politique (*). Ses spectacles revisitent à ce titre les relations entre l’artiste et le public à travers une expérience physique de l’espace, du son et même du toucher.

Dans As if your death was your longest sneeze ever créé en 2002, la présence des spectateurs intégrée dans la scénographie constitue la clef de voûte de la pièce. Confiné tout d’abord dans un espace réduit, le public assiste, debout et inconfortable, à une performance : privé de la distance qui le sépare ordinairement de la scène, il n’est plus face à l’action mais littéralement dans l’action. Ensuite, il est installé au contraire dans une vaste salle sur des chaises réparties dans tous les sens : aucun point de vue n’est privilégié dans cet espace chaotique et l’action se dissémine entre les spectateurs. Pour finir, le public est plongé dans la pénombre.

De la disparition du danseur surgit alors la figure du spectateur qui, sous couvert d’anonymat, participe soudain au mouvement. En effet, scrutant l’obscurité avec insistance dans l’espoir d’y « voir » les danseurs, il se permet des mouvements et des déplacements qu’il n’oserait pas à la lumière. Dans le noir, danseurs et spectateurs se confondent, se rencontrent et se surprennent. Le public joue ainsi avec les interprètes, leur barrant le passage ou acceptant le contact, et même des portés. À travers ces différentes organisations de l’espace et du groupe, Hooman Sharifi tente d’instaurer un rapport égalitaire avec le public.
Hooman Sharifi - Crédit : Arash A Nejad
(*) IMPURE COMPANY MANIFESTO :


Art equals politics

This statement is the starting point for impure company’s activities. It signifies what art is and should be.

Politic is social awareness.

I am interested to communicate, to have a comment, to question and activate. The functionality of my activities is important.

Site de La Ribot : http://www.laribot.com
Un livre est paru en 2004 sur la chorégraphe madrilène installée en Suisse. Publié par le Centre national de la danse, il nclue des textes de : Adrian Heathfield, José A. Sanchez, Laurent Goumarre, Gerald Siegmund et André Lepecki.